mardi 31 décembre 2013

PASCAL LALOY : NE PAS LAISSER INDIFFÉRENT (Lucien Ruimy)

Des corps taillés à la serpe, avec une peinture quasi-abstraite, massifs, les mains souvent croisées. Peints avec de grosses brosses, des éponges des raclettes de maçon… Ces corps comme soumis à l’apesanteur, en tension dont on ne sait quoi faire sont surmontés de têtes qui questionnent le spectateur, lui expriment toute la tristesse, la mélancolie intérieure. Ils vous accrochent le regard, ils nous interpellent, nous questionnent sur la vie, le monde.
Pour Pascal Laloy l’être humain est un être d’abord mental, social. Que fait-on de notre vie ? Car les personnages sont coupés du monde, ils nous posent la question essentielle de l’individu, de sa conscience des autres ceux qui sont absents de la toile.
A l’infini il reproduit ce schéma, sans jamais s’en détourner, une manière obsessionnelle de poser encore et encore les mêmes questions. Un appel à se libérer l’esprit des contraintes matérielles.
Les personnages sont entourés d’un halo « monochrome » qui les met en valeur et accentue leurs expressions.
Pour lui, « le trio peintre-figuration-matière est un ensemble qui doit s’équilibrer parfaitement ». Il est donc primordial de laisser toujours une place à l’expérimentation, à l’accident, pour éviter la mollesse d’une figuration sans surprise. Car il y a un fort contraste entre l’immobilisme des personnages et la force, la gestuelle de la peinture qui les compose. La bataille intérieure rejoint là la bataille extérieure et leur apporte ainsi une vitalité, une grande expressivité.

On ne passe indifférent devant les personnages de Pascal Laloy, ils vous accrochent, ils sont de ceux que l’on n’oublie pas.

lundi 30 décembre 2013

JEAN-CHRISTOPHE FISCHER, OU LE VISAGE INNOMBRABLE. (Christian Noorbergen)

Au commencement était la nuit, l’univers s’est éteint et des yeux inouïs trouent la mort. Il n’y a plus qu’un visage unique, désert et déchiqueté, qui s’accroche aux masques du néant. Et des cernes de sang scarifient la peau broyée d’un corps qui fut immense… La nuit saisit l’espace, et l’espace est possédé.
L’art de Jean-Christophe Fischer est oppressant, “chargé” et puissant. Art d’exorcisme et de conjuration, qui lutte contre tous les délabrements de la peur et de la déchéance, et qui oeuvre en un rythme lourd, archaïque et lancinant.
Le masque est l‘horizon menaçant du visage, mais le visage dit la fin des masques. Au-delà du visage sont ses lointains cruels : ceux du dehors, aux identités saccagées, et ceux du dedans, inaccomplis...
Face à face implacable, où le miroir désigne le bourreau. Résonnent en lui des milliers de figures englouties. Bouche emmurée, noircie de  néant, au creux d’un visage inconnu, brûlé de mort-vie, et marqué de lointaine Afrique.
Tendu par les hauteurs, et pris dans l’étau des profondeurs, le regard s’élève, blessé d’infini. Espace effarant du visage. Quand tout se désagrège, l’oeil seul tient le fil de la vie. Il toise, il atteint, il fracasse nos fragilités. Le visage d’origine, à l’inexploré douloureux, ignore d’avance ce qu’il sera.
En medium éclairé, l’artiste impose la puissance d’impact des arts  primordiaux. Arrière-langage, parti de loin. Ces traces directes agissent par une formidable chirurgie mentale. Son art est rituel d’apparition, contre toutes les disparitions. Dans son immédiateté brutale et poignante, dans sa fabuleuse percussion visuelle, Jean-  Christophe Fischer assène la terrifiante singularité du ressenti archaïque.
Ce que les ornières de la culture cachent obstinément, ce que les ordres du jour n’en peuvent plus d’affronter, la part d’ombre le révèle : les trouées de l’être, les regards sacrifiés de nos doubles, et leurs beautés mortelles. Et le visage s’affole dans l’opacité sans fin de l’univers. A hauteur d’humanité, la création palpite.


«  Tu t’arrêtes quand tu n'as rien fait ». m’a dit Jean-Christophe. 

L’artiste dit la fin du jour.

dimanche 29 décembre 2013

MARIEF : LA FUGACITÉ DE L’HUMAIN (Lucien Ruimy)

Tout est dans la suggestion, de l’espace, des personnages. Des corps à peine esquissés qui se détachent sur des fonds sombres. Fugaces comme la vie, la rencontre, ils laissent une trace de leur présence entre l’ombre et la lumière. Ils ondulent à peine marquant ainsi leur présence. La peinture est épaisse, les corps sont là en sur épaisseur, en couleurs plus claires.
Les personnages sont le plus souvent solitaires et même s’ils sont en mouvement, tout cela dans l’indifférence, dans la solitude. Le corps ainsi à peine  dessiné marque son aspect éphémère. Où sont les autres ? Ils se caractérisent par leur absence.
Le mouvement imprimé aux corps marque le désir de communication, d’aller vers l’autre de communiquer son désir, son envie de danser…
La gestuelle des corps est rapide, comme s’ils ne faisaient que traverser l’espace. Comme la vie qui traverse le temps de manière fugace.
Marief pose ainsi la question de quelle trace laissons-nous de notre passage. 


dimanche 22 décembre 2013

ROMAIN SAINTONGE : LA PEINTURE COMME ACTE DE MÉMOIRE INTIME (Lucien Ruimy)

Les personnages de Romain Saintonge sont ceux de sa vie quotidienne. Ils sont présents les effacements, le floutage de la peinture les pose comme au milieu d’un halo, un brouillard qui donne une atmosphère mystérieuse d’irréalité. L’image est brouillée comme si l’on pénétrait par effraction dans l’intimité de l’artiste et de ses personnages dont nous ne percevons qu’un instant de vie dont le tableau ne serait que la mémoire, mais une mémoire que le temps efface.
C’est l’image d’un instant, mais un instant intemporel, dont la mémoire garde une image floue, comme si l’on regardait de vieilles photos. La peinture devient souvenir d’un instant, d’une scène du passé.
Mais si la scène est floue, la texture de la peinture de Romain est, elle, très dense, épaisse, comme si elle était le réceptacle de la masse des souvenirs. Les couches successives font revivre la force des souvenirs enfouis. La création d’une toile est un long cheminement vers les souvenirs lointains qui s’évaporent dans l’image.
Dans un premier temps Romain reprenait des images anciennes qu’il reproduisait en noir et blanc l’atmosphère d’un temps passé. Aujourd’hui il prend des images de sa vie et les reproduit en couleur…
Au-delà de sa thématique, la qualité picturale des œuvres est très forte. Elle est l’expression d’un peintre accompli pour qui la représentation humaine n’a pas de secret. Mais plus que le motif la texture dense de la matière, de la patte pigmentaire est une forme de signature.
Couche après couche Romain Saintonge fait revivre un passé proche ou lointain, un instant d’humanité


samedi 21 décembre 2013

QUI A PEUR DE CATHERINE S. WOLFF (Frédéric Amblard)

Catherine WOLF et Frédéric AMBLARD
On peut préférer oublier à quel point l'art nous dérangera.
 "Nous déranger ou pas", pour Catherine S. Wolff, la question ne se pose pas. Sa peinture n'est faite ni pour gêner ni pour rassurer. Elle lui est une respiration, un mode d'existence passant à la vitesse supérieure pour lui permettre de ne pas être dérangée, justement. Elle peint durement, comme elle respire donc : rien de plus rude que ses formes et ses thèmes picturaux Or, approchez cette femme, ce qui domine, c'est son rire "énaurme", sa petite taille, sa chevelure de lionne. Pas d'angoisse apparente ni de refrains pathétiques. Dans la vraie vie, elle vit et va, légère ou inquiète. Pas ses toiles ! Qui exhibent ce qui va en sourdine, à bas bruit, sans mots mais non sans sens ; et qui irait plus mal si rien n'en était dévoilé. Peindre, ce travail en profondeur, remue ici notre face commune, inavouée, et faire surgir un matériau brut et nu, non habillé, non maquillé. Le sexe nu et l'effroi.
De ce que saisit son pinceau, on peut craindre le pire ; mais ce n'est jamais sans propos ni avant-propos. C'est qu'un fait particulier, marquant, a enclenché les mises en scène, mises à mort, en amour. Quelque amant, quelque injustice l'aura-t-elle heurtée ? Catherine S. Wolff leur règle sur-le-champ, comme en duel, le compte. Duelle ? Non, elle est tout d'une pièce, alors que ceux qu'elle foudroie sont tordus. Allez vous étonner que ses toiles aient mauvais genre après ça ! Toutes intimes qu'elles lui soient, elles et elle ne se confondent pas : sa peinture est une autre, plus méchante, plus comptable de la réalité vacharde. Un lien commun existe cependant : l'humour. Humour face à l'amour, humour contre l'amour. Rire lui permet d'aborder ce sexe que l'on ne saurait voir sans qu'il nous crache au visage, morde, nous dévisage. Notre sens du bon ton va se déchaîner ; mais la peinture, ici, l'a précédé. Et assumé.
Omniprésent, le sexe de cet art, est-ce haine, ou amour ? C'est avant tout une économie de moyen visant à l'essentiel : la nudité. Cette nudité qui, plus petit terrain d'entente, captera le vrai. Une œuvre plus nue que celle-ci, vous en connaissez ? Suspension du temps et des sexes. Le rapport hommes-femmes est-il mis en souffrance ? Qui en a peur ? "Qui a peur de Catherine S. Wolff ?"
   Vous détestez son art ; vous lui en voulez. ça se comprend.
   Vous acceptez son art ; vous en voulez. ça se comprend aussi.

Ce qui se comprend, c'est que Catherine S. Wolff, malgré qu'on en ait, a des couilles. Pas moins "couillarde" que la peinture de Cézanne, adepte du mot. L'air qui en émane use de titres qui, sans leurres, explorent un axe ludique, riche en référents littéraires, culturels, picturaux. Au titre, ce héraut de l'art, de porter sa part des affres qu'une telle exploration du grotesque, du "grand macabre", de l'outrance, engendre par monts et pas maux.
Mots, maux... L'art de Catherine S. Wolff lui vaut maints ennemis, le tout premier étant elle-même. C'est ainsi qu'affrontant son "ego" de vilain petit canard affrontant un grand méchant loup, elle  ne se perd pas : au risque de l'effroi, son jeu épique fait tournoyer grandeur et misère, dépassement et cruauté. Sans apaisement possible, si ses rets traitent du cauchemar et jamais du rêve, c'est que l'apaisement fausse le cauchemar et le nie. A la toile, qui peut faire fuir, d'outrepasser toute répulsion, dont la nôtre ! La sienne, primordiale, instaure rien moins qu'une "catharsis" - cette purgation de nos passions capable de liquider nos refoulements. "Cath'-art-sis" gît ici".