vendredi 10 juillet 2015

MONA LUISON : METAMORPHOSE DU QUOTIDIEN (Michel Foucault)

photo portrait : Louve Delfieu

Les oeuvres de Mona Luison sont aussi éclectiques qu'un inventaire à la Prévert : une peluche sans tête, une poupée désarticulée, une collection de soldats en plastique, quelques couvercles de boîtes de conserve, des portraits de cosmonautes, des capsules de café soluble, des bouteilles d'eau minérale, des tissus d'ameublement épars, des vêtements bariolés hors d'usage,… L'univers de Mona Luison est celui du trop plein, de la profusion, de l'hétéroclite, de l'abondance excessive, de l'envahissement, de la prolifération.
On imagine que la maison de l'artiste doit être très vaste pour amasser dans ses armoires et ses tiroirs tous ses « ça peut toujours servir ». Mona Luison entasse ce qui lui tombe entre les mains sans souci de tri, de cohérence, de critères esthétiques de bon ou de mauvais goût. Elle n'est pas femme à discourir sur le trop-plein de notre société de consommation. Elle accueille avec bienveillance ce qui ordinairement est mis au rebut. Elle porte un regard attentif et généreux sur ces reliques du passé, ces accessoires en sommeil qui ne demandent qu'à être retirés de l'ombre d'un placard pour livrer leurs histoires enfouies ou de nouvelles aventures potentielles.
Pour donner une nouvelle vie à  ses trésors amassés, Mona Luison les découpe, les tisse, les coud, les rapièce, les emboutit, les démantèle. Une collection de porte-clés devient pendentif, une rangée de boutons se transforme en collier de perles. Les objets s'assemblent pour se métamorphoser en intrigantes sculptures textiles, en   sublimes habits de lumière qui se parent de couleurs vives et chatoyantes, en séduisantes parures incrustées de bijoux de pacotille, en improbables costumes de scène. Au fil de ses rêveries, Mona Luison crée un théâtre imaginaire qui nous raconte des histoires tantôt graves, tantôt poétiques, tantôt remplies d'humour : «je grandis enfantin», «expiration d'un silence organique », «mon mondeu», «le naufragé», «être sur la planète bleue».
Sous nos yeux étonnés, Mona Luison a réussi son tour de magie : métamorphoser  les objets de notre quotidien en un spectacle étourdissant.



vendredi 3 juillet 2015

BERNARD LE NEN (Michel Foucault)


On entre dans les peintures de Bernard le Nen comme on entre dans une salle de spectacle. Le peintre impose dans ses toiles le silence et l'obscurité comme dans la salle pour que la représentation puisse avoir lieu. Spectateur avide d'images rassurantes, passe ton chemin. Cette peinture n'est pas faite pour séduire ou amuser la galerie. Bernard le Nen nous invite à prendre place dans un curieux théâtre d'ombres, à lâcher prise et à quitter sa raison pour se laisser embarquer dans un étrange voyage au bout de la nuit.  A cette condition seulement la magie pourra fonctionner. Tous les fantômes pourront apparaître.
Une ligne horizontale sert d'unique repère pour planter le décor. Les acteurs peuvent entrer en piste. Une figure hiératique solitaire s'installe sur le devant de la scène ou un duo de personnages semble défier les lois de la pesanteur en flottant dans l'espace beaucoup trop grand pour eux. 
Des êtres hybrides hésitent  entre l'humain et l'animal. Parfois le végétal s'en mêle. Parfois différentes parties du corps ont du mal à s'ajuster ou manquent à l'appel. Il est difficile d'échapper au regard de ces inquiétantes  créatures qui nous scrutent avec leurs grands yeux écarquillés. Elles sollicitent notre complicité, notre compassion avec leurs grands regards tantôt rêveur, tantôt interrogateur. 
Toute cette galerie d'êtres désespérément seuls semble interroger le grand vide qui les entoure  et la situation absurde dans laquelle ils se trouvent. Comme pour se rassurer, ils pressent entre leurs mains de dérisoires figurines blafardes pour leur tenir compagnie. Immense détresse.
Malgré la profonde mélancolie qui imprègne son œuvre, on devine la jubilation du dessinateur à faire proliférer son  intrigant théâtre ainsi que son plaisir à parer ses créations graphiques d'une palette riche en couleurs raffinées et subtiles pour leur apporter densité et mystère. 
Chacun des personnages de cette machinerie onirique nous invite à nous confronter à nos peurs, nos angoisses, nos terreurs, nos craintes, nos fantasmes pour jouer au mieux son propre rôle dans le théâtre de la vie.

mercredi 1 juillet 2015

LES "FERRAILLES" DE DOMINIQUE BRIZÉ (Etienne Ribaucour)


Avec ses "ferrailles", Dominique Brizé fait parler un matériau abandonné, trouvé au hasard de balades, proches ou lointaines. Posées, puis fixées sur un panneau en bois, elles sont travaillées pour  revivre avec d'autres matières comme de la limaille de fer, de la cendre ou des débris de verre.
C'est le croisement d'une "histoire" que l'artiste se raconte et d'une "harmonie" qu'il revendique tout "en laissant parler la ferraille". "C'est elle qui décide, explique-t-il. Elle donne l'idée qui se nourrit au fur et à mesure que j'avance. Je ne cherche pas à faire du sens mais à composer pour que ça s'arrange bien jusqu'au moment où il me semble qu'une histoire a été racontée."
Le peintre se met en mesure d'accepter le sens amené par la matière qui peut conserver, voire imposer sa nature, sa relation à un lieu, à un degré plus ou moins avancé. Un tableau intitulé "La Paz-Alto" est peut-être l'exemple le plus significatif de cette relation. Des éléments rapportés de la cité même se retrouvent imbriqués, presque naturellement, dans l'image de constructions et nourrissent ainsi une double métonymie qui fonctionne à la fois par l'origine des matériaux et leur capacité à évoquer ce à quoi ils étaient destinés. 
Rongée par le temps au moment où elle est ramassée, la ferraille transmet à l'œuvre ses couleurs altérées mais toujours opportunes à l'endroit où elles s'insèrent.
Il arrive parfois que, chemin faisant, l'idée première se perde, bascule jusqu'à entraîner le renversement du tableau. Un trait, une surface, peuvent alors réveiller un nouvel axe de la composition et clarifier des mouvements d'ensemble jusqu'alors inopérants. Rien à voir avec un mécanisme de puzzle, cependant. S'il y a jeu, c'est dans la recherche d'un équilibre délicat qui maîtrisera la froideur du métal jusqu'à lui conférer une certaine sensualité.

Et chez Dominique Brizé qui pratique aussi la peinture à l'huile depuis une trentaine d'années, le plaisir de la couleur est identique d'une technique à l'autre. Manier les morceaux de ferraille, poser des touches de peinture participent de la même démarche. La seule différence est dans le geste, méticuleux dans le travail à l'huile, plus ample dans la manipulation du métal, mais toujours guidé par la délicatesse.