mercredi 26 mars 2014

mardi 25 mars 2014

LE MONDE DE L'ART CONTEMPORAIN (Frédéric Amblard)

Le supplément du Monde économie et entreprise a publié le 4 mars 2014 plusieurs pages sur le marché de l'Art Contemporain. De ces écrits ressort l'omnipotence de cette forme actuelle du marché, en parfaite conformité avec le capitalisme moderne. 
La fascination des articles du "journal de référence" est motivée par l'adaptation "magistrale" du secteur à l'offre capitaliste. Surtout, l'obstacle de "l'ésotérisme" et du "ghetto du spécialiste" (en art historique) étant levé, l'Art Contemporain, digne de son époque, s'avère "à la fois objet de plaisir immédiat et de spéculation financière". Désormais, nous dit-on, l'Art Contemporain "est devenu le principal moteur du marché de l'art". Certes, "un fort parfum de bulle flotte au-dessus de ce monde exclusif et festif" ; mais y a-t-il lieu d'anticiper, voire d'en faire l'analyse ? On se rappellera qu'au terme d'une précédente descente aux enfers de la spéculation sur l'art, dans les années 1990, les professionnels gageaient que le secteur allait en profiter pour se "moraliser". C'était sans doute faire preuve de sens de l'humour que de le penser...
Aujourd'hui donc, depuis 2003, mieux que les Bourses, la dynamique de l'Art Contemporain a multiplié par six ses investissements. Les grosses fortunes, ravies d'activer un tempo de l'art devenu "accessible" (c'est-à-dire compréhensible) et "moins intimidant que l'art ancien, qui requérait des clés", dépensent des sommes (17%, apprend-on) qui, tout en étant de loisir, s'avèrent "en conformité avec les réalités du marché mondialisé". Désormais, faire son marché chez Christies ou Sothebys permet d'aller au-devant d'un "art beaucoup plus lié à la vie"... Tant il est vrai que celle-ci, accordée au principe duchampien "d'acheter de l'art comme on achète des haricots", permet à une "jet-set-arty mondialisée" d'affirmer sa capacité à générer un profit futur, résolument tendu vers le futur. Que l'hyper-concentration des acteurs (qu'ils soient producteurs d'art ou acheteurs spéculateurs) se recrute sur une population infiniment limitée et triée sur le volet, sinon bunkérisée, entre-t-elle en jeu, vaut-elle que Le Monde mette en question ce système en place ? Gageons que ce sera pour plus, beaucoup plus, tard (ou dans de toutes autres pages).
Une question qu'on pourra soulever après avoir lu ces pages sera de demander pourquoi la mise à jour (plutôt qu'à nu) de cet aspect de l'art actuel occupe ici tant de pages. C'est-à-dire, en fait, toutes les pages, toujours. Lisant à mi-mots, on voit qu'un recul est proposé au lecteur subtil sur l'intérêt profond ou réel des " œuvres" mises en exergue. Mais c'est si fin... Qui le sent ? 
Car le titre générique des articles associe moins l'art contemporain au danger de la "bulle" qu'au jackpot. Lecteur, on est entraîné dans cette folle (formidable) dynamique, dans ce miroir endiablé qui finit par annihiler tous les autres actes de la production artistique actuelle. Que la "jet-set-arty mondialisée", fixée aux jackpots financiers, ait voix au chapitre, on connaît. Sa façon d'absorber le critère artistique aura consisté à désacraliser les œuvres, leurs fonctions et le mode de réception lui-même, en phagocytant tout. Pour ce faire, tout a été effacé, sauf l'enveloppe ART, écrin criant, criant ses mots d'ordres aux acheteurs patentés d'ART (le titre de noblesse, ART, restant intouchable et neuf). Gogo qui s'y oppose ; l'art est là, contemporain exclusif ! "Soyons résolument moderne", répète-t-on à l'envi depuis Rimbaud, comme si le résolument l'emportait sur tout, même sur le moderne... Ce qui vaut désormais étant d'être résolument solvable.
Or la réalité est plus complexe que ce que les articles du Monde ordonnent. Indépendamment du jackpot, dans leur immense majorité, d'autres artistes, laissés-pour-compte de l'art, produisent malgré l'obscurité qui les voile. L'obstacle, c'est que leur visibilité pouvant heurter la spéculation (en tant qu'elle représente une alternative créative, porteuse de fragmentation), garder le silence sur eux est une nécessité impérieuse, par-delà tout doute possible. 
La publication des pages économie et entreprise révèle la trame économico-politique qui, en actes, sous-tend la culture actuelle, notamment des arts plastiques. Les concentrations actives aujourd'hui, en dégradant les notations concurrentes, les démonétarisent. A l'instar des classes moyennes ou défavorisées mises à mal par l'hyper inflation des plus riches, la déferlante du "jet-set-arty", sa peoplisation, et sa sur-médiatisation mal définie, musellent dorénavant nos contre-pouvoirs. Ce changement d'échelle offre donc aux portefeuilles agissant tout l'espace de la pensée et des œuvres, quand la lenteur du processus historique de l'art, sanctuarisé par l'école, les ateliers, au musée et dans d'autres lieux de proximité, leur opposerait un contre-feux. Surtout, cette lenteur de la maturation, en validant une possible distanciation, voire une relativisation du choix des formes, inscrit celles-ci dans ce cycle long indispensable pour façonner le terreau de nos consciences. Portée par le recul historique, la pratique de l'art s'accommode de l'échelle intime, qui instaurera l'alternance de va et vient entre les temps longs et brefs. 
Question d'échelle et d'alternance, dis-je... Quand une œuvre artistique se fait, se poursuit, telle une course de relai, avec des moyens matériels limités, relevant d'une économie professionnelle et domestique qui n'en appelle pas aux plus fortes concentrations ; quand l' œuvre ainsi produite entre dans un système d'échange aux larges assises, indépendant de considérations financières trop lourdes ; quand une progression transparente et tangible de cette œuvre permet d'en juger les avancées ou les atermoiements ; quand les bases ainsi partagées permettent un dialogue fécond entre œuvre, "ésotérisme", recherche théorique et formelle, etc. ; quand l'équilibre des échanges mis en jeu favorise des dialogues essentiellement renouvelables, plutôt qu'un recours à d'intangibles figures d'autorité ; quand, enfin, la pluralité des modes de production des œuvres leur permet d'émaner de la plus grande diversité possible ; alors l'information journalistique qui fait partager un tel kaléidoscope accomplit un travail profitable à l'art, à la presse et à ses lecteurs, au bien commun. Notre époque et ses productions les plus élaborées en ont besoin.


vendredi 14 mars 2014

NOUVELLES ÉCRITURES (le premier vitrail de Daniel ROUYER) (Stéphane Arrondeau)

Selon les manuels scolaires d’histoire, les premières écritures, cunéiformes ou à base de pictogrammes, avaient des fonctions essentiellement administratives ou comptables. Triste présage…
Daniel Rouyer et Stéphane Arrondeau
La maquette d’un vitrail destiné à l’église  de La Bosse, commune nichée dans les confins du Perche Sarthois, Daniel Rouyer l’a sobrement intitulé « Nouvelles Ecritures ». Rien d’administratif et de comptable cette fois-ci. Tout y est poétique : incertitudes, exactitudes... Comme ces peintures rupestres qui nous fascinent encore, font écho en nous, alors même que les codes de ce langage graphique nous demeurent inconnus…
Dans cette maquette, reflet exact de la production de l’artiste, Daniel Rouyer alterne les zones d’écriture noire sur fond blanc, avec des zones franchement colorées. Il est facile d’opposer les unes aux autres. Mais n’est-ce pas, finalement, « l’incarnation » picturale de la nature humaine ? La foi plus belle que Dieu… La certitude matinée de doute. La force frappée du sceau de l’incertitude. Le fil tenu de l’histoire. Une filiation plus spirituelle que charnelle… A moins qu’il ne s’agisse que d’une ponctuation chromatique d’un phrasé imaginaire !
La transposition sur verre de cette maquette s’imposait, telle une évidence. Le travail de Daniel Rouyer s’apparentait à une partition dont un orchestre de petites mains ouvrières devait s’emparer, pour en donner une interprétation la plus juste possible. Demeurer fidèle à l’œuvre initiale, tout en laissant la lumière, par le biais des matériaux, lui conférer une tonalité céleste ! Belle ambition. Dur labeur.
Dès l’origine du projet de création de vitraux contemporains pour l’église de La Bosse (10 vitraux en 17 ans) la réalisation a toujours été confiée à des jeunes de 14 à 17 ans, encadrés par quelques adultes. Certaines difficultés furent récurrentes : formation des jeunes, approbation des autorités administratives et religieuses, financement des différentes tranches de travaux. Pour le vitrail de Daniel Rouyer toutes trouvèrent une issue heureuse, y compris le financement émanent d’un mécénat privé !
La réalisation fut longue et laborieuse, l’artiste  patient et indulgent. La quête de verres spécialement fabriqués pour ce projet réclamait du temps …
Puis vient le moment, toujours émouvant de la pose du vitrail. De la rencontre du verre et de la pierre. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’une confrontation mais d’un dialogue entre l’œuvre et l’architecture pour, de concert, tutoyer les cieux…