mercredi 14 décembre 2011

L’ART CONTEMPORAIN ET LE VITRAIL : LE MARIAGE DE LA CARPE ET DU LAPIN ? L’EXEMPLE DE STEPK EN SARTHE (Stéphane Arrondeau)



Qui sont, réellement, les auteurs de ces vitraux médiévaux qui font l’admiration de tous et qui ornent nos églises, nos cathédrales ? Des artistes ? Des artisans ? Les garants d’un simple savoir-faire, ou les créateurs d’une nouvelle iconographie ?
La question, ainsi formulée, est anachronique, aux dires des spécialistes. Histoire des mentalités, sans aucun doute… Des problèmes de terminologie viennent, également, entraver toute étude sur ces personnages. En effet, quelle réalité recouvrait alors les termes de verrier, verrour, vitriarius, glazier, glazenwrigt, vitrarius pictor ou glass-painter ? Quel était leur  statut, eux qui demeurent de véritables anonymes de l’art ? L’un d’eux cependant a échappé à cet oubli en intégrant son propre portrait à l’une de ses verrières : le célèbre Gerlachus. Nous ignorons ses réelles motivations, mais le geste est fort ! Il constitue l’un des premiers autoportraits d’artiste de l’histoire de l’art (1160) !

Cette même question, ce distinguo entre artiste et artisan, prend tout son sens avec l’époque contemporaine. Dès le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale les « artistes » vont apporter leur concours à l’évolution de l’art du vitrail. Conséquence directe : les maîtres verriers  sont,  dès lors, considérés comme de simples artisans !Ses collaborations entre « artistes » et « artisans », initiées par André Malraux et le Père Couturier, vont engendrer de superbes réalisations dont l’histoire de l’art ne conserve qu’un nom. Exemple : les célèbres vitraux de MATISSE pour la chapelle de Vence ! Retour du maître verrier dans l’anonymat…

Depuis 2008, le Conseil Général du département de la Sarthe développe un ambitieux programme de commandes de vitraux contemporains destinés aux églises rurales du secteur. A ce jour ont déjà été réalisés les projets suivants :
-  église de Oisseau-le-Petit, 4 baies, artiste : Agnès Rainjonneau, verrier : Virginie Lelièpvre
- église de Pizieux, 8 baies, artiste : Michel Madore, verrier : Michel Ducreux
- église de Saint-Matin-des-Monts, 4 baies, artiste : Alexis Pandellé, verrier : Michel Ducreux
- église de SaintPierre-des-Bois, 9 baies, artiste : Laurent Leduc, verrier : Michel Ducreux
- église de Sainte-Sabine-sur-Longève, 11 baies, artiste : Jacqueline Caulet, verrier : Eric Boucher
- église de Crannes-en-Champagne, 3 baies, artiste : Thibault de Reimpré, verrier : Eric Boucher
- église de Saint-Georges-du-Bois, 8 baies, artiste : Marie-Laure Mallet-Melchior, verrier : Michel Ducreux
- église de Chenay, 6 baies, artiste : Virginie Lelièpvre, verrier : Michel Ducreux
Et  trois autres projets sont en cours de réalisation !
Particularités de cette démarche : pour chaque commande trois artistes sont mis en concurrence, et le lauréat est désigné par les habitants de la commune concernée !
Quelques remarques s’imposent. Avec un tel protocole de désignation, quel est le réel champ des possibles ? Voterons-nous sereinement, un jour, dans un commune, une paroisse pour une quelconque avant garde artistique, alors même que l’histoire de l’art est jalonnée de scandales qui ébranlèrent les esprits les plus éclairés ?

                        Retour sur expérience avortée : StepK et le vitrail.


Stepk est artiste manceau au parcours flamboyant. Ses œuvres figurent en bonne place et en bonne compagnie dans de prestigieuses galeries, comme celle de Marie Vitoux, rue d’Ormesson à Paris. Stepk avec Franta, beau voisinage !

Ses tableaux sont à son image : audace,  force et contrastes. Commentaires de Christian Noorbergen, célèbre critique d’art : « StepK  défigure à la serpe, à la hache, au bulldozer. Stepk est une brute au doigté de paillon ? Ça grince, ça suinte, et ça griffe ? Ca décapite, ça cogne et ca déchire son art. Poussières maculées, cicatrices de matières et cous tordus font ces gueules fracassées, ces ombres maudites et ces délicates coulées d’âme. StepK écrase les couleurs, et ça donne un magma d’une cruelle densité, d’une implacable tension, d’une fulgurance aux yeux béants de malheur. StepK est un dur qui défigure la tendresse. Ses meurtrissures embrasent et embrassent. » (extrait du livre Quand le visage perd sa face. La défiguration en art 2009).
Selon StepK « L’art est un combat » ! Fier programme !  Mais les combats se gagnent, ou se perdent … L’artiste a participé à plusieurs de ces concours organisés pour la création de vitraux contemporains en Sarthe. Sans réussite … Mais pouvait-il en être autrement dès lors qu’il est resté fidèle à lui-même, à son art, à sa peinture en proposant des maquettes, certes novatrices, mais sans doute trop fortes, trop brutales ?  Des saints aux « gueules fracassées » en quelque sorte

Cependant les verrières éphémères qu’il réalisa pour l’église de Saint-Pierre-des-Bois, une commande directe du Conseil Général de la Sarthe, soutenu par l’entreprise Lefranc-Bourgeois, font la démonstration de la pertinence de son propos graphique confrontée à l’audace, à la force et aux contrastes de la Lumière naturelle !
 Il est des combats qui se gagnent, d’autres qui se perdent. Sur décision de l’arbitre ou d’un jury. Pas sur KO ! Pourvu que l’artiste ne décide pas de jeter lui-même l’éponge !





lundi 12 décembre 2011

RUTA JUSIONYTE OU LA TRAVERSÉE DU DÉSASTRE(Christian Noorbergen)


 Les yeux sont un peu plus grands. Les yeux sont des trous. La fragilité est un peu plus grande. Mise à nu de la nudité. Ruta accomplit ce rituel.
Ses êtres sont des trous humains. A travers eux, on voit, car il y a des corps autour des trous, par où passe l’infini. Il n’y a plus d’horizon, on leur a enlevé le ciel. L’extérieur n’existe plus : l’extrême intimité, et la plus lointaine qui soit, les a durement sculptés.
Peut-être ont-ils la couleur de la boue, et le regard brûlé. Les êtres rugueux de Ruta, autrefois, ont été brisés de l’intérieur. Et ça continue. La boue brûle encore. Ce sont des êtres densifiés de peine et de lacunes. On ne peut plus leur prendre quelque chose, car ils n’ont plus rien. Ils ont tout perdu, sauf notre humanité. Ils ne sont pas invincibles, un souffle les bouleverse, un reproche les épouvante, et cependant, ils sont invaincus. Ils ont traversé la destruction de tous les dehors, ils sont indestructibles.
Ils sont nos frères d’abîme, ils tiendront jusqu’à la fin des temps. Leurs organes ne font plus qu’un. Tout s’est durci, tout s’est concentré. Leur densité est terrible. On s’y briserait le coeur. Seuls les yeux sont plus grands, et aussi leur fragilité… Peut-être hésitent-ils entre la jeunesse interdite et la vieillesse oubliée ? La vie les hante, et la mort les touche. Ils sont toujours à portée de la tendresse.

Petit homme d’éternité, au sexe doux, offert à l’immensité. Femme au cœur ballant. Enfant accroché. Tous, ils ne font qu’un. Un seul regard. Chaque œuvre de Ruta est une île de vie, une obsession sublime. Une résistance ultime, résistante à tout, et formidable de fragilité, a pris corps. Et pourtant quelque chose ne sait plus prendre corps. Les abandons de l’enfance interdisent l’habit de chair. Les désirs ont quitté la route. Indéfinie, improbable, l’indicible attente sidère les regards. La flamme recueille le sommeil des cendres. Espoir latent et puissant, départ en léthargie…
Ruta crée dans l’irrécupérable. Chez elle, il fait grande nuit. Il y a toujours la nuit. Innombrable, interminable. L’univers est sans fond, le jour a fui loin de la peau, et même les yeux sont de nuit… Elle affronte la part d’ombre que l’ordre du jour n’ose affronter, elle dit les trouées de l’être, les corps sacrifiés de nos ombres, et leurs mortelles beautés.
Elle sait travailler la terre, sa terre en elle travaille, et ses  repères, et l’ancestrale culture des côtes baltes. Mais la perte des origines a rendu l’air irrespirable. Ces êtres indicibles, poignants et soignants ont la sourde nostalgie des sources vives, des mythes intimes et des légendes secrètes. Ils respirent nos blessures et nos silences. Ils ont des failles, des déchirures, des transparences, des fissures, et des coulées de ciel. Ils incantent nos cicatrices. Ils sont les incarnés et les démunis d’un dialogue sans fin d’elle avec elle-même. Dans elle-même, il y a m’aime, il y a celle qui s’aime, et tous les autres, inséparés. Ils sont la troupe exténuée de nos doubles indéfinis.
La tête aussi est plus grande. Elle semble parfois porter un corps si proche et si lointain qu’il vit en dessous, et toujours il se tait. Il est de terre, lui aussi, mais il est porté par ces hauteurs de tête. Ruta ne s’arrête pas à la souffrance. L’ange a oublié la bête, et le désastre est en fuite. Du spirituel dans l’art…
Sculpture à risques, celle de Ruta, car il n’y pas l’ombre d’un divertissement. Pas le moindre mirage de séduction, mais une insidieuse contagion, la haute et implacable présence du grand œuvre. Une compassion extrême et crue. Alchimie ténue de la plus dure présence et de la beauté cruelle.
«  A travers moi, l’homme, vers le monde », dit-elle.
Le petit peuple de ces humains sans âge, démuni, essentiel, et de taille étrangement réduite, fusionne l’insupportable du trop vécu au dénuement effarant des enfants d’âme. Ces êtres au regard posthume sont nos durs miroirs. Quand tout se tait, infimes, les crocs plantés à l’intérieur, ils parlent sans mot de l’éternelle énigme de l’existence. Ils portent la contemplation jusqu’au bord aigu et tranché d’un horizon toujours noir.
Ruta Jusionyte sculpte à vif l’humanité.




mercredi 7 décembre 2011

A PROPOS DES VITRAUX DE REIMPRÉ EN SARTHE (Stéphane Arrondeau)


REIMPRE « EGLISE DE CRANNES-EN-CHAMPAGNE »
De Manuel JOVER
Editons FRAGMENTS INTERNATIONAL
Août 2011
Nul besoin de présenter Thibault de Reimpré, chacun connait ses œuvres, l’évidence de son talent. Mais quel peut être son lien avec l’église de Crannes-en-Champagne, modeste commune rurale sarthoise, où réside l’artiste ? Réponse : trois vitraux !
C’est le sujet de cette belle publication de Manuel JOVER, aux Editions Fragments International. Le texte est clair, net, précis. Il décrit sobrement le déroulement de cette commande de la commune, soutenue par le Conseil Général de la Sarthe. Aucun aspect n’est négligé : le programme iconographique (légende des saints patrons de l’église, évocation du « pays »), la technique employée pour restituer sur et dans le verre le graphisme de Thibault de Reimpré (rendons hommage au talent du verrier sélectionné Eric Boucher !),
le vote des habitants de la commune, l’implication de leur maire Pierre Dalibard, et enfin l’évocation du talent de l’artiste. Extrait : « Reimpré, en revanche, n’en passe pas par le relai d’une conceptualisation explicite, son « lyrisme », s’il faut garder ce mot, est bien réel, son expression est directe. Et très intense. D’où une certaine difficulté à commenter cette peinture qui semble court-circuiter le discours par l’investissement maximal dont elle est le lieu, la force de son propre « langage », l’impérieux effet de  présence qu’elle impose. »
Impossible d’évoquer les vitraux de Thibault de Reimpré pour l’église de Crannes-en-Champagne, sans une riche iconographie. Les prises de vues sont de Guy Durand, photographe sarthois lui aussi très connu (et « Dieu » sait que les prises de vues dans cette église sont très délicates à réaliser !). 
Soulignons, enfin, la qualité de la conception graphique de l’ouvrage confiée à Laurent Meynard.
Le prix ? 16 euros … En vente dans toutes les bonnes librairies, selon l’expression consacrée !

mardi 6 décembre 2011

CLAUDE GASSIAN : COUP DE FIL (Ludovic Duhamel)


Il existe tout autour de nous une infinité de sujets possibles. Il suffit de savoir regarder. Il suffit souvent d’ouvrir les yeux. Claude Gassian, photographe de stars, habitué à porter son regard sur l’humain, a dans cette série exploré d’autres horizons, révélant un monde graphique empli de poésie.

La poésie est partout, semble-t-il nous suggérer. Et les fils électriques qu’il nous dévoile, leurs enchevêtrements, l’entrelacs de leurs imbrications, dessinent effectivement un graphisme pur, comme surgi tout droit de l’imagination d’un dessinateur tout particulièrement amoureux de la ligne pure, de la ligne sans contraintes, libre, qui croque un monde abstrait, sans signification apparente. « Utilisant le medium photographique pour ses qualités picturales, Claude Gassian reconstitue un réseau graphique à partir d'arabesques et de segments qui n'est autre que le détail d'enchevêtrements de fils conducteurs. Sortis de leur contexte, ils s'individualisent et se combinent. Issus de l'univers du voyage, de la rapidité et du son, ils se défont de leur signification première.

Le photographe en fait une écriture silencieuse » écrivent à juste titre Isabelle Bertolotti et Thierry Raspail (précédente exposition au Musée d’Art Contemporain de Lyon).
La photographie se confond ici avec le dessin, vient jouer sur les plates-bandes d’un autre médium. Comme pour brouiller les pistes, pour démontrer que la poésie n’est pas seulement affaire de technique mais aussi et surtout d’esprit, d’imagination, d’originalité. Par ce travail léger comme une bulle, simple comme un coup de fil, Claude Gassian communique à sa façon la passion du signe. Ce presque rien qui permet de relier les hommes, les territoires, les mondes. Ce presque rien qui a du sens, pour qui sait voir.