dimanche 26 février 2012

CHARLOTTE DE MAUPEOU : LES VERTUS DE L’ONDE

Charlotte de Maupeou est une jeune femme déterminée. Elle n’hésite pas, pour donner une texture,  des transparences, des couleurs particulières, à utiliser une  technique utilisant la colle de peau de poisson mélangée à des pigments. Il faut donc un certain courage pour affronter les odeurs que cela peut dégager.

Après un séjour à la Casa Vélasquez en 2003, Charlotte a revisité la peinture de Vélasquez, Vermeer ou Hals. Comment ces maîtres de la peinture auraient-ils peint s’ils étaient de notre temps, Charlotte nous en donne une idée, sa version. Car si l’on reconnaît au premier coup d’œil ces tableaux célèbres, la matière, la texture de la peinture en sont totalement différentes. La fluidité de la peinture, le geste non effacé leur donne un aspect des plus contemporain.

Elle tente même de recréer les « Ménines » de Vélaquez, « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet ou « La liberté guidant le peuple » de Delacroix en trois dimensions, des cartons découpés, des silhouettes à peine  surlignées, des collages recréent l’image connue tout en lui donnant une profondeur, une perspective différente.
Il y a toujours, chez Charlotte de Maupeou,  cette volonté de demander au spectateur un effort sur ce qu’il regarde, ce qu’il voit. C’est l’objet de ses derniers travaux sur le reflet. De grands tableaux  figurent le reflet de personnages dans l’eau, cela doit se regarder à une certaine distance. Là encore, le geste est nerveux, le tremblement de l’onde d’une eau qui avance, viennent perturber l’image.


Mais ce qui caractérise l’ensemble des travaux de Charlotte de Maupeou,  c’est un geste fort, une détermination à entrer dans la peinture et l’un de ses éléments fondamentaux l’eau.

La dilution de la peinture, la dilution des corps.

                                                                                                                           Lucien Ruimy





CHARLOTTE EST LUMINEUSE, AUDACIEUSE ET TEMERAIRE (Nicole Anquetil)

Elle arrive comme une reine, bottée et coiffée d’une belle toque en renard. Dehors il gèle, Charlotte rayonne.
La présentation des toiles commence rapidement, elle dévoile les toiles comme on tourne les pages d’un livre, son compagnon soulève les grands châssis, toiles immenses effeuillées une à une. C’est un émerveillement, tous ces reflets des corps dans l’eau, dernières œuvres réalisées. L’envers est aussi beau que l’endroit, Charlotte s’en amuse et s’en étonne, les surprises sont totales. Les corps sont déliés, le geste est fulgurant, tout va vers la simplicité, la fugacité, l’artiste est pressée. Les bleu et les rose se marient, les vert profonds structurent le tableau, les touches sont rapides et spontanées, grands traits rageurs, toiles caressées par les larges coups de pinceaux, grandes cicatrices balafrant les chevrons de la toile brute.
Puis les petits carrés défilent, gros plans sur des personnages bien abrités derrière le cadre de verre, personnages au fond qui ne demandent qu’à sortir. Charlotte est joueuse, curieuse et inventive lorsqu’elle fait ses scènes en carton, art de la récup’ au thème évocateur de la Liberté, du Déjeuner sur l’herbe ou des Ménines, autant de clins d’œil à l’art. Charlotte jongle sans peur ni scrupule avec les grands noms de la peinture. C’est magique et profondément humain, l’art magnifié, muséifié est à nos pieds. C’est osé et réconfortant, Charlotte désacralise et cela fait du bien. Elle remet l’œuvre d’art à sa place et met l’artiste au cœur du temps présent et du vivant.
A l’étage, au sommet d’un escalier périlleux, découverte des toiles plus anciennes rangées sous les toits. C’est là que Charlotte peint, le lieu est chaleureux. La femme au chapeau rouge m’impressionne, la force du portrait de Vermeer éclate sur le vieux mur de ce hangar de Courdemanche, l’œil est vif comme le rouge du chapeau, la beauté des traits du visage accroche la lumière. La femme sort du mur du hangar. La couleur porte le personnage qui s’impose, rien n’est retenu, tout sort du cadre.

Un moment en dehors du temps et pourtant bien dans le présent, l’envie de courir dans son atelier pour peindre, Charlotte nous pousse à continuer sans états d’âme, son audace est contagieuse, Charlotte a les pieds bien plantés sur terre et la tête près des étoiles, elle rayonne de cette énergie impalpable et réconfortante, elle est émouvante et puissante. 
  

dimanche 12 février 2012

LES SEQUENCES DE KRISTIAN DESAILLY (Georges Richar-Rivier)




Au fil des jours, au fil des ans, Kristian Desailly approfondit sa vision du monde. Trois décennies après le début de sa quête picturale, il nous donne maintenant à voir, dans ses toiles, son univers esthétique à présent accompli, mais sans qu’il ait tout à fait oublié le temps de l’enfance – si sauvage, si spontané, si inventif - ni perdu l’impétuosité de l’adolescence.
La peinture de Kristian Desailly, cependant, ne convient pas aux regardeurs pressés. Il est nécessaire de traverser le miroir des apparences pour entrer dans cette œuvre créative empreinte de poésie, et apprécier comme il se doit une composition plastique peu perceptible au premier regard. Généreusement brossées, les grandes masses colorées peintes à l’acrylique forment un fond plutôt clair, structuré par un réseau de traits noirs au fusain, et rehaussé çà et là de signes au pastel, comme tracés par un chaman qui seul en connaîtrait la signification. Ce qui nous rappelle opportunément que « l’acte d’imagination est un acte magique » ( Jean- Paul Sartre).
Autre point de vue pouvant retenir l’attention. Il ne me semble pas abusif de mettre en parallèle les peintures actuelles de Kristian Desailly et les couleurs automnales de cette contrée entre Ventoux et Luberon qu’il fréquente depuis sa prime jeunesse et où il habite désormais. Chez qui se souvient de la lumière du Pays de Gordes, à la fin de l’été, peut s’établir un rapport subliminal entre une perception terre à terre de la Nature (teintes des vignes, des cerisiers... allant des jaunes aux rouges en passant par tous les ocres, confrontées aux bleus des ciels, mais équilibrées par les sombres masses des cyprès, des chênes verts...), et la contemplation de la palette éclatante des œuvres abstraites de Kristian Desailly. ( A suivre...)



mercredi 1 février 2012

LES VUES DE L’ESPRIT DE MICHEL SEMENIAKO (Ludovic Duhamel)


Il ré-invente le monde, le ré-écrit, le ré-enchante, tel un coloriste génial dont l’unique objet serait de repeindre ce qui l’entoure en couleurs de feu, histoire d’y ajouter un peu de poésie.

Michel Séméniako s’approprie les paysages, les transforme, les sublime, y inscrit une part trouble de mystère, un je-ne-sais-quoi de magique et de surnaturel. C’est un photographe atypique, dont les images ont ceci de particulier qu’on ne les oublie pas…
Lui qui a longtemps sculpté le monde par le noir et blanc, s’inscrit désormais dans un processus colorisé éminemment poétique. « Pratiquant des temps d’exposition très longs, il se déplace, sans jamais apparaître, dans l’espace photographié qu’il éclaire à la torche électrique. En redessinant des contours fictifs, en multipliant les directions d’ombre et de lumière, il sculpte des volumes qui transposent les objets et les paysages dans un univers onirique où les frontières entre visible et invisible, réel et imaginaire s’entremêlent » est-il précisé sur son site, et ses images apparaissent en effet comme de pures inventions inspirées du réel, presque des vues de l’esprit. Il y a dans ce travail la volonté d’apposer sur le cadre naturel – une usine, un arbre, une plage – le filtre inventif, coloré, jubilatoire d’un regard aiguisé par des années d’expérience.

Loin de tomber dans le piège du décoratif, Michel Séméniako utilise la couleur pour re-définir le paysage choisi. A l’image du peintre orientant, selon l’inspiration, la lumière qui éclaire son modèle et modifie de fait les tonalités, les ombres et les clartés qui le précisent. Le résultat est toujours surprenant. Les arbres prennent des teintes inédites qui s’opposent  et se répondent, insolites mises en scène de sous-bois nocturnes qui semblent régurgiter les couleurs du jour qui vient de s’éteindre. Même les lieux a priori moins « photogéniques », telles ces usines désertées par l’homme, le temps de la pause sommeil, paraissent transfigurées, soudain animées d’une âme que l’on ne soupçonnait pas. C’est bien l’essence même de l’art de Michel Séméniako : révéler par la couleur la vie intérieure de toute chose, de tout objet, de tout paysage, le chuchotement du monde.