Comme au bord de la mer, quand on regarde longtemps
au loin, le regard s'épuise devant ce large immense, ce ciel intense. Puis tout
à coup, l'œil s'accroche à un détail. Nous cherchons à comprendre ce qui nous a
happé si soudainement. Devant les toiles de Carlotta, mon esprit pareillement
éveillé cherche à entendre quelque chose de la toile. Devant ses œuvres, on
s'arrête, on passe puis on revient...Elle déclenche ce à quoi, nous n'avions
pas pensé car mine de rien, tout est là pour qui aime s'étonner. Immersions,
glissements, infusions et subtils équilibres nous absorbent et nous éveillent.
Elle voit au loin ce qu'elle est seule à voir. Elle
nous le donne en le dessinant avec un pas de coté subtil presqu'invisible. Elle
nous chuchote que c'est ainsi, inutile de rêver ailleurs que de là où nous
sommes. Et de là où nous nous sommes fourrés, s'il y a quelque chose de raté,
il n'y a pas rien non plus. Ses étonnantes figures dansantes et prêtes au
dialogue nous interrogent.
Mais ce « là »vibratoire se compose en
même temps de langueurs possibles, de tendresse et du tranquille constat dont
elle nous parle. Elle nous invite à nous arrêter. Elle nous demande de
considérer l'innocence de nos comportements comme une tragédie. Elle nous
révèle une inconscience à peine palpable, fugace voire presque naturelle.
Aucune revendication tapageuse, aucune agressivité sinon celle de se rendre
compte. État des lieux constitués de caresses, de regards, de tentatives
d'aller vers l'autre. Il est présent le monde que nous avons construit ou
détruit. Il est là à portée de regard, de main donc pensable. Elle nous dévoile
ses chimères éberluées de tant d'inconsistance.
Sa mièvrerie feinte ouvre au tragique qui parfois
pointe son nez dans les vocalises chuchotées des teintes à demies douces, à
demie amères pour ouvrir encore à la possibilité d'un câlin.D'un jeu d'image à
une autre, d'un mot à l'autre, une tentative de débusquer le verbe aimer.
Est-il encore temps de changer ? Nulle amertume, juste une pointe d'humour, de
tendre ironie. Ses toiles ne cherchent pas la compassion, elles disent les
rencontres vécues, ce vécu dont nous sommes à notre insu tissé. Une chance peut
être encore à saisir, il n'est jamais trop tard. Elle nous aborde par la
tranquille assurance que tout cela est à la fois en train de se faire et de se
délier. Une fois et de cette façon informé, il s'agit bien d'aller vers, de
tendre à... et de se dissoudre au moins dans la beauté du monde ( Chacune de
ses toiles rend hommage). Un jour, ce sera ! c'est dit sans emphase, sans
pathos et sans concession. Alors qu'attendons-nous pour être au diapason de ce
monde magnifique ?
Nous sommes le fléau qui penche d'un coté ou de
l'autre. Ce mot étonnant détient par ses multiples sens, l'essence même de la
peinture de Carlotta. Il est étrange ce mot, il désigne à la fois la tige qui
équilibre les plateaux de la balance, il est la spatule de bois qui sépare le
blé de son enveloppe et le signe tragique d'une calamité. Quand je regarde les
douces rêveries de ses toiles, ces trois sens possibles se côtoientet indiquent
le lieu même de nos interrogations. Elle choisit la voie du lien, de
l'étonnement à l'autre sans oublier les plaisirs sensuels de vivre. C'est là
tout près, cela ne peut s'approcher que de cette façon, c'est sa façon à elle
de nous dire qu'exister est une chance et qu'il y faut du rêve et qu'elle ne
s'en prive pas. Avec des images qui ne refoulent aucune vision, qui redonnent
pulsation aux mythes, qui relient, elle décline son monde. Une approche
mystique où les êtres vivants mais tout autant l'herbe, les roches, l'eau et
les ciels si intenses se cherchent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire