samedi 8 octobre 2011

NICOLE ANQUETIL, PASSEUSE EBLOUIE DE LA VIE... (Yannick Lefeuvre)

Dans les souffles mêlés de la grotte obscure, elle tente, le pinceau à la main d'inscrire l'énigme sur le front rugueux du dragon endormi. Le chemin est escarpé, difficile et imprévisible mais elle s'y jette. Nicole Anquetil nous emmène et nous la suivons. Le socle minéral des premières épaisseurs impose une mémoire insistante et nécessaire, le sommeil du dragon vibre dans ces enfouissements originels au coeur de la terre mère. Pour son oeuvre, il lui faut en fond comme substrat la sombre dureté des parois. Sur les roches de l'antre, elle s'adosse rassurée. 

Maintenant, elle peut s'élancer vers la couleur transfigurant les meurtrissures secrètes anciennes en jaillissements de taches virulentes. Elle les décline avec vigueur en rougeurs de sang, en chairs violentées d'émotions pudiques et en traces fulgurantes données sans complexe à notre regard. Dans les éternuements de pigments jaunes, d'épices oranges aux saveurs enfantines, dans le frottis poisseux des sueurs vertes aux embruns des passions, elle exulte. Son geste cherche l'exacte tension, la fulgurance et le paroxysme de l'animalité présente. Dans ce tapage coloré, elle vérifie que la bête dort toujours.

Exténuée, elle se sent malgré tout comblée, son mouvement doit s'arrêter car il est juste à l'équilibre d'une mystérieuse vérité. Or, ce qui s'annonce l'étonne, elle vient tout à coup voiler le paysage de douces volutes au toucher floral disant par là, au delà de sa violence, l'étonnement amoureux et sensuel devant la beauté du monde. Mais dans l'en dedans, le souffle pestilentiel et tenace du dragon emplit l'espace, il l'attire vers les résolutions glauques. Elle hésite, tiraillée. D'un geste sûr, elle refuse la complaisance car ce qui se cherche là est essentiel pour sa création. Alors, son choix s'affirme. Elle se propose d'aller vers la vie, elle n'a même plus peur d'éveiller la bête. Elle crie l'errance du jeu à pleines paumes, la fougue de la matière retrouvée, les cauchemars pulpeux. Jouisseuse, pétrisseuse et goûtant les plaisirs du bruit des éclaboussures qui cognent l'aplat de la toile où le rire explose, son enfance se réincarne. Tout ce remue ménage l'a amené là, dans le bref de la vivacité d'un plaisir enfoui et enfantin. Étonné, le dragon ouvre un oeil.

Elle dit bien pour qui risque l'éveil, les cheminements hasardeux entre le plaisir appris et imposé du vouloir combler ce qui manque et les espaces des désirs enfantins rétablis où les pulsions empoignent la matière avec sensualité. Elle touche là tous les risques du débordement. Elle sait avec nous que le fléau vertical de la balance se trouve à ce point de distance où l'être réfléchit, pense et regarde. L'artiste apprend l'espace entre elle et le reflet, cet espace géographique qui se décline de scansions précises. Elle y enracine son intuition et cerne le lieu du mouvement dans sa vérité nue éprouvée. Le dragon ouvre les yeux mais elle ne le craint plus.

Elle se sait et se veut présente à chaque instant de son parcours (jusqu'à le mettre en image photographique), apprivoisant la scansion nécessaire. A la suivre ainsi, personne n'est trompé car elle avance pas à pas et saura dire avec exactitude l'instant de la révélation (« C'est rare ! »). Elle éveille avec bonheur en nous les mots de Pétrone : « In umbra voluptatis lusi ! », « A l'ombre des plaisirs, j'ai joué ! » et tente d'ouvrir cet espace-temps qui concerne chacun. Fougueuse et joueuse, elle grimpe sur le dos de l'entité mythique.


De là-haut, elle discerne mieux le propos et elle inscrit la difficulté dans ces cernes noires qui tentent d'approcher le sens. Ce qu'il en est des émotions passées se trouve ici réinsérées. Par tous les autres sens convoqués, elle distille sous nos yeux sa vie intérieure en mouvement. Libre aux flancs des nuages, survolant la terre, elle nous agrippe le coeur. Derrière tout ce tohu-bohu la simplicité joyeuse d'un clin d'oeil apporte sa sereine tranquillité. C'est sans doute cela que chacun cherche et le bonheur qui s'installe devant nos yeux ouvre à l'évidence d'un aboutissement momentané. 

De l'origine individuelle à la traque du dragon des éléments, elle va aujourd'hui élaborer, détailler les mouillures, les fissures sans oublier les étranges métamorphoses des teintes qui révèlent ce monde particuliers dans lequel elle plane ( elle est chez elle et nous frappons à sa porte). Les flammes aussi disent les désirs crus de celle qui palpite et jouit, ce vent tournoyant que parfois Turner chevauche aussi ne nous laisse aucun repos. Elle lâche l'enfance et s'enflamme. Ici, chaque épaisseur de couleur tente de se frayer un chemin, elles se confrontent, se chevauchent et se bousculent. Il semble qu'elles crachent leur jus à la face de l'autre disant la virulence d'être et la particularité vibrante de chacune. 
Il semble même qu'il y ait tout à coup urgence pour elles d'être ainsi nommées et choisies par le geste du peintre. Tentons l'aventure pour quelques couleurs, je m'exalte à mon tour. Le jaune du soleil s'invente un dedans (soleil de nuit) et un dehors (soleil du jour) , le feu que l'on ignorait de lui, les bleus salivent et se meurtrissent, les roses n'ont pas honte et glissent vers les violets de l'âme, les verts sont l'herbe primitive de la bible, les noirs et les gris surgissent des terres argileuses qui insultent les roches des origines. Le dragon aux métamorphoses subtiles s'est glissé en elle. La métaphore visuelle où la nature abdique et se déploie en culture nous révèle les transformations nécessaires pour que cela se dise et se voit. La force bestiale domptée s'imprime dans son âme, le tableau vibre. Ce n'est pas de tout repos ! Emporté par sa vision ? Nous le sommes, certes, condition minimale pour goûter l'oeuvre mais aussi repéré car elle nous donne l'opportunité de vivre avec elle l'envol de ces échanges fructueux.


Si l'humanité pavoise aux limites de ses couleurs balayées par les poils de ses pinceaux choisis avec générosité et gorgés de substances, c'est qu'elle affirme cela de l'humain. Une animalité qui se déploie dans une explosion sensuelle vers le regard de l'autre. Ce sens qui n'advient et c'est sa certitude, que dans l'abolition des idées et des pensées convenues, dans la curiosité et l'étonnement de la présence dérangeante d'un trajet inattendu. Elle prend le risque, c'est indéniable ! Aujourd'hui, une nouvelle configuration se présente, les constellations l'accompagnent dans un déploiement où l'esprit et l'âme tentent les convergences. Il y a de nouveaux seuils à franchir, de nouvelles quêtes à investir et de grands enivrements à espérer. 

Comme toutes les recherches abstraites, nous pouvons passer à coté faute de « perdre son temps », elle nous invite dans cet espace là où les heures posent leurs traces où chacune ou chacun peut en toute innocence poser la main et se risquer à son tour. Ce lieu inscrit en nous, nous donnera la chance d'un regard plus ouvert et plus admiratif sur la vie. Elle est la « dame du dragon », maintenant, elle en est certaine. Si une oeuvre peinte nous amène à cet endroit là, nous ne pouvons que nous en réjouir et le partager avec elle ! 

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