Crédit photographique (Sandra Detourbet et Philippe Béranger)
"Le sacré ayant parcouru le chemin qu'il avait à suivre, sans retour à la case départ, il me laisse rêveuse car il renvoie à quelque chose de ressemblant à mon intuition. Certes on ne peut pas penser ailleurs que dans son temps et "ces temps-ci" se penseront toujours dans une forme mythique de la genèse.
J'explore la genèse des croyances au travers des histoires inventées: les mythes, les récits et la poésie. Il y a deux vieux rêves que je découvre après tous ceux qui me précèdent. Le premier s'apparente d'avantage à un souvenir possible. Les premiers hommes vivaient des nuits longues et froides. Dans le silence de leur langage, aveugles dans leur obscurité, ils vivaient profondément. Certains instants me rappellent à ces ténèbres. Je retrouve l'ignorance. Cette origine, si vieille et sûre, s'obstine quelque part, sourde et bruyante. Le second rêve est lumineux et riche d'un savoir qui repousse ma peur. Le paradis où l'innocence nous rendait aveugle face à notre nudité, personne n'y est resté. Il se fige dans notre oubli. Il reste le seul vestige de notre enfance ensevelie d'histoires.
Toutes ces croyances, chacun les vit selon sa propre nécessité. C'est ce questionnement perpétuel dont témoignent nos grands travaux, nos édifices, nos peintures, nos sculptures, nos écrits, nos compositions, nos rêves. Ce sont tous ces témoignages qui m'animent.
Le sacré dégage l'essence religieuse de toute chose. La nécessité de s'accomplir dans un ouvrage collectif me fascine. L'ouvrage du XXI siècle est une Babylone infernale, qui pousse vers le haut, vers le bas et à l'horizontal. L'or noir régit son mécanisme, le mouvement, la vitesse et l'apesanteur. L'extraction des réserves en son sein épuisable explose les frontières ethniques. Elles s'étendent dans une nouvelle ère, l'espace cosmique cède le pas à l'invisiblement petit, l'inimaginable, le virtuel.
Tout a commencé lorsque Tarkovski démarre son film "Andreï Roublev" par une séquence courte, quasi subliminale que l'on peut même avoir oubliée car elle se greffe au récit telle l'annonce d'un oracle : on assiste, en fait, à la première ascension en montgolfière. Cet événement a une valeur symbolique très forte : l'homme s'affranchit d'un dieu terrorisant. Cela nous est décrit à travers la vie d'un peintre russe, Andreï Roublev, qui représentera un dieu au visage doux et clément. Les hommes cessent d'être représentés comme les éternels pêcheurs craignant un dieu jaloux démuni de toute miséricorde. La séquence où se déroule une fête païenne nous plonge dans la stupeur de cette époque.
L'amour s'est débarrassée de l'emprunte de la culpabilité. L'œuvre du peintre repose sur le visage de l'amour. Le corps n'est pas que laideur ou douleur, la mort n'est pas l'éternité. Le mystère est ailleurs : le récit nous raconte le prodige auquel assiste cet homme : On demande à un jeune enfant dont le père était fondeur et qui emporta dans sa tombe le secret de l'alliage du bronze, de diriger la fabrication d'une cloche. L'intuition le mena à sa réussite. Le fondeur détenait la science et le savoir faire de l'alliage du bronze. Le fils perpétue le secret du père sans explication. L'inné et l'acquis : l'émerveillement repose sur ce doute. La nature humaine livrée à ses sens et son esprit détient l'alchimie de la matière vivante qui dort, boit, mange et qui existe.
Ces contes imaginaires s'inspirent de faits réels et portent en eux toutes les réponses. Ils confirment et exaltent le sentiment de vivre. La vie est consommée pleinement jusqu'à la lie. L'amertume colle à la légèreté d'un regard échangé. D'un silence partagé, du non dit et du dicible."
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