Dans
les souffles mêlés de la grotte obscure, elle tente, le pinceau à la main
d'inscrire l'énigme sur le front rugueux du dragon endormi. Le chemin est
escarpé, difficile et imprévisible mais elle s'y jette. Nicole Anquetil
nous emmène et nous la suivons. Le socle minéral des premières épaisseurs
impose une mémoire insistante et nécessaire, le sommeil du dragon vibre
dans ces enfouissements originels au coeur de la terre mère. Pour son
oeuvre, il lui faut en fond comme substrat la sombre dureté des parois.
Sur les roches de l'antre, elle s'adosse rassurée.
Maintenant, elle peut s'élancer vers la couleur
transfigurant les meurtrissures secrètes anciennes en jaillissements de
taches virulentes. Elle les décline avec vigueur en rougeurs de sang, en
chairs violentées d'émotions pudiques et en traces fulgurantes données
sans complexe à notre regard. Dans les éternuements de pigments jaunes,
d'épices oranges aux saveurs enfantines, dans le frottis poisseux des
sueurs vertes aux embruns des passions, elle exulte. Son geste cherche l'exacte
tension, la fulgurance et le paroxysme de l'animalité présente. Dans ce
tapage coloré, elle vérifie que la bête dort toujours.
Exténuée,
elle se sent malgré tout comblée, son mouvement doit s'arrêter car il est juste
à l'équilibre d'une mystérieuse vérité. Or, ce qui s'annonce l'étonne,
elle vient tout à coup voiler le paysage de douces volutes au toucher
floral disant par là, au delà de sa violence, l'étonnement amoureux
et sensuel devant la beauté du monde. Mais dans l'en dedans, le souffle pestilentiel
et tenace du dragon emplit l'espace, il l'attire vers les résolutions
glauques. Elle hésite, tiraillée. D'un geste sûr, elle refuse la
complaisance car ce qui se cherche là est essentiel pour sa création. Alors,
son choix s'affirme. Elle se propose d'aller vers la vie, elle n'a même
plus peur d'éveiller la bête. Elle crie l'errance du jeu à pleines paumes,
la fougue de la matière retrouvée, les cauchemars pulpeux. Jouisseuse,
pétrisseuse et goûtant les plaisirs du bruit des éclaboussures qui cognent
l'aplat de la toile où le rire explose, son enfance se réincarne. Tout ce
remue ménage l'a amené là, dans le bref de la vivacité d'un plaisir enfoui
et enfantin. Étonné, le dragon ouvre un oeil.
Elle dit bien pour qui risque l'éveil, les
cheminements hasardeux entre le plaisir appris et imposé du vouloir
combler ce qui manque et les espaces des désirs enfantins rétablis où les
pulsions empoignent la matière avec sensualité. Elle touche là tous les
risques du débordement. Elle sait avec nous que le fléau vertical de la
balance se trouve à ce point de distance où l'être réfléchit, pense et
regarde. L'artiste apprend l'espace entre elle et le reflet, cet espace géographique
qui se décline de scansions précises. Elle y enracine son intuition et
cerne le lieu du mouvement dans sa vérité nue éprouvée. Le dragon ouvre
les yeux mais elle ne le craint plus.
Elle
se sait et se veut présente à chaque instant de son parcours (jusqu'à le mettre
en image photographique), apprivoisant la scansion nécessaire. A la suivre
ainsi, personne n'est trompé car elle avance pas à pas et saura dire avec
exactitude l'instant de la révélation (« C'est rare ! »). Elle éveille
avec bonheur en nous les mots de Pétrone : « In umbra voluptatis lusi ! », « A
l'ombre des plaisirs, j'ai joué ! » et tente d'ouvrir cet espace-temps qui
concerne chacun. Fougueuse et joueuse, elle grimpe sur le dos de l'entité
mythique.
De là-haut, elle discerne mieux le propos et elle
inscrit la difficulté dans ces cernes noires qui tentent d'approcher le
sens. Ce qu'il en est des émotions passées se trouve ici réinsérées. Par tous
les autres sens convoqués, elle distille sous nos yeux sa vie intérieure
en mouvement. Libre aux flancs des nuages, survolant la terre, elle nous
agrippe le coeur. Derrière tout ce tohu-bohu la simplicité joyeuse d'un
clin d'oeil apporte sa sereine tranquillité. C'est sans doute cela que chacun
cherche et le bonheur qui s'installe devant nos yeux ouvre à l'évidence
d'un aboutissement momentané.
De l'origine individuelle à la traque du dragon des
éléments, elle va aujourd'hui élaborer, détailler les mouillures, les
fissures sans oublier les étranges métamorphoses des teintes qui révèlent
ce monde particuliers dans lequel elle plane ( elle est chez elle et nous
frappons à sa porte). Les flammes aussi disent les désirs crus de celle
qui palpite et jouit, ce vent tournoyant que parfois Turner chevauche
aussi ne nous laisse aucun repos. Elle lâche l'enfance et s'enflamme. Ici,
chaque épaisseur de couleur tente de se frayer un chemin, elles se
confrontent, se chevauchent et se bousculent. Il semble qu'elles crachent
leur jus à la face de l'autre disant la virulence d'être et la particularité
vibrante de chacune.
Il semble même qu'il y ait tout à coup urgence pour
elles d'être ainsi nommées et choisies par le geste du peintre. Tentons
l'aventure pour quelques couleurs, je m'exalte à mon tour. Le jaune du soleil
s'invente un dedans (soleil de nuit) et un dehors (soleil du jour) , le feu que
l'on ignorait de lui, les bleus salivent et se meurtrissent, les roses
n'ont pas honte et glissent vers les violets de l'âme, les verts sont
l'herbe primitive de la bible, les noirs et les gris surgissent des terres
argileuses qui insultent les roches des origines. Le dragon aux
métamorphoses subtiles s'est glissé en elle. La métaphore visuelle où la
nature abdique et se déploie en culture nous révèle les transformations nécessaires
pour que cela se dise et se voit. La force bestiale domptée s'imprime dans son
âme, le tableau vibre. Ce n'est pas de tout repos ! Emporté par sa vision
? Nous le sommes, certes, condition minimale pour goûter l'oeuvre mais
aussi repéré car elle nous donne l'opportunité de vivre avec elle l'envol
de ces échanges fructueux.
Si l'humanité pavoise aux limites de ses couleurs
balayées par les poils de ses pinceaux choisis avec générosité et gorgés
de substances, c'est qu'elle affirme cela de l'humain. Une animalité qui
se déploie dans une explosion sensuelle vers le regard de l'autre. Ce sens
qui n'advient et c'est sa certitude, que dans l'abolition des idées et des
pensées convenues, dans la curiosité et l'étonnement de la présence
dérangeante d'un trajet inattendu. Elle prend le risque, c'est indéniable
! Aujourd'hui, une nouvelle configuration se présente, les constellations
l'accompagnent dans un déploiement où l'esprit et l'âme tentent les convergences.
Il y a de nouveaux seuils à franchir, de nouvelles quêtes à investir et de
grands enivrements à espérer.
Comme toutes les recherches abstraites, nous pouvons
passer à coté faute de « perdre son temps », elle nous invite dans cet
espace là où les heures posent leurs traces où chacune ou chacun peut
en toute innocence poser la main et se risquer à son tour. Ce lieu inscrit
en nous, nous donnera la chance d'un regard plus ouvert et plus admiratif
sur la vie. Elle est la « dame du dragon », maintenant, elle en est
certaine. Si une oeuvre peinte nous amène à cet endroit là, nous ne
pouvons que nous en réjouir et le partager avec elle !
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