samedi 1 octobre 2011

LE DESSIN COMBATTANT (Michel Batlle)

Il y a dans certains dessins, une détonation de même nature que celle de Saburo Murakami traversant en 1956 des écrans de papiers tendus sur châssis, lors de la première exposition Gutaï dans les jardins d’Ashiya, Japon.
C’est le dessin combattant pénétrant les strates, défiant les stratégies de la composition. Et si le combat se limitait à cette perforation hyménée, qui est en fait, une germination ayant atteint son centre, donnant des tiges, des fleurs et des fruits dans un ordre caché ; les grandes herbes giflant de leurs diagonales les plans du tableau en charges de cavaleries jusqu’aux drippings de Pollock… mais aussi jusqu’à la mort foudroyante du grand végétal… Le dessin combattant peut  naître d’une contraction furieuse, n’être qu’une contradiction, une densité de force et d’engagement politique et poétique, génératrice d’autres contractions et d’autres densités au sein même du trait.  Le viscéral n’a rien à voir dans cette affaire, même si les dessins d’Antonin Artaud côtoient la douleur de la chair et le dérangement de la normalité…
Le dessin combattant comme lutte pour s’intérioriser au plus près du sujet et donc le laisser s’échapper, pour apprendre à dessiner et oublier le dessin. N’est-ce pas Vincent Van Gogh, au départ piètre dessinateur, qui lutte, qui lutte et qui finalement trouve le dessin ? 




VISAGES 
Des miroirs avancent, des plans se déploient, le noir crache ou s’attendrit ; il y a des ombres mais de qu’elles lumières naissent-elles ? Pourquoi des ombres ? Et le clair intouché, rencontre du vierge et de la lumière ou seulement reflet d’une paroi excessivement noire, un escalier qui s’enfonce au cœur de linéaments et de hachures, laissant la trace diurne en surface d’un vide circonscrit…
Le dessin pénètre la face, la face se pénètre par le dessin qui alors s’efface pour qu’apparaisse la face. Le trait suit ses stigmates signés au trait, saignés, scarifiés, comme des retenues de sables aux provenances vagues. Le trait écrase, imprime ou s’échappe, sinue, strie les formes pensées. Mais les traits génèrent des trous, peut-être des erreurs qu’il faut sauver, des perspectives égarées à retrouver un chemin, avant qu’elles ne s’échappent comme flèches sans cibles.
Dans ses constructions, le visage et ses traits qui ne sont pas les traits du visage, se surlignent, se censurent en tous sens dans un combat élémentaire. Il y à l’endroit, l’envers et l’intérieur, l’enveloppe, la surface, les vibrations. Certains cherchent la clef ; mais y a t il une serrure ? Certes le dessin a toute sa liberté mais s’emprisonne de lui même à plaisir.
Représenter le visage n’a plus sa raison d’être s’il se limite à une ressemblance, ne pas le décrire mais l’écrire. Le visage en porte-réflexions, il est, certes, un prétexte à des jeux de formes et de couleurs mais demeure, avant tout, un lieu pictural autant qu’un paysage, un corps, des objets assemblés...




TRAITS ACCUMULES
Lorsque j’accumule les traits afin de « sauver » mon dessin d’un froid graphique, est-ce que je triche ? Et à contrario, lorsque je dessine « au trait » comme le faisait Ingres, puis Picasso, alors que le trait sans tâche ni attache est comme le résumé de toute une expérience graphique et que ce trait dans sa plus simple expression, comme une signature limpide, illusionne les couillons, au point qu’ils croient en une illumination venue du ciel, est-ce que je triche ?
Car le fait de donner plus ou moins d’intensité dans le trait pour évoquer un modelé, donner forme à un espace, pourrait être de la plus grande tricherie.
Une excessive simplicité n’est pas la marque d’un dessin réussi, surtout que depuis l’avènement de l’art moderne, on accepte toutes les déformations et les erreurs comme gestes volontaires. Le «dessin au trait », le contour, la ligne continue, sans ombre ni modelé, généralement réalisé en un mouvement lent et progressif, comme on « avale d’un trait », doit être de toutes les suspicions. De tout cela le peintre chinois Shitao nous en a parlé dans son fameux traité de la peinture qu’il définit comme une réalité parallèle au monde. Pour lui, « L’Unique Trait de Pinceau confère l’infinité des traits du pinceau…».
L’artiste qui a beaucoup pratiqué la peinture et le dessin, peut tracer trois traits tombant « à pic », le tour est joué, le public aussi !
Le fait d’accumuler les traits est en quelque sorte l’aventure du dessin, son parcours, avec ses embûches, ses sauvetages et ses redressements ; c’est créer sa forêt et l’explorer en même temps, le jeu étant d’être ou ne pas être / d’être et ne pas être, en son intérieur: l’immersion et la distanciation : être ou ne pas être assommé par derrière ! Accumuler est un acte de plaisir, de fabrication amoureuse, autant de traits, autant de mouvements entre deux corps. Comme en amour, on ne peut se satisfaire de quelques traits!


L’UNIQUE ET LE REPETITIF
Une définition du dessin ?
La seule affirmation qu’on puisse donner c’est bien celle de l’indéfini, de l’infini ; non pas dans son aspect final mais dans sa conception, dans son âme. Le dessin aurait une âme, même si le dessinateur n’a pas d’état d’âme ?… Le dessinateur le sait-il ?
 Le dessin peut être une trace, une ombre, une saillie, une incision, un remplissage, un évidement, il est partout et nulle part, virtuel ou volontaire, déjà là dans la nature et en devenir dans la pensée de son médium, le « dessineur » ou le « dessinacteur».
Ces quelques traits, ces quelques notes sont les fruits de l’expérience d’une vie, un combat où l’artiste mouline à tout rompre contre l’indifférence.
Ne pas trop réfléchir au dessin mais le pratiquer, le vivre dans ses mouvements quotidiens, intérieurs, musculaires et cutanés.
L’improvisation se doit d’être créative; pouvoir imaginer le monde dans sa globalité dans la plus simple de nos attitudes et relier les humains et les choses à l’univers. Si je pose un objet sur une table je pense à la rotondité de la terre et cette globalité me donne les distances nécessaires pour respirer plus librement, comprendre et voir où je suis, qu’elle sera l’action que je vais mener à sa surface...
Je ne parle pas de la technique du dessin mais des diverses techniques de représentations.
Il y a le dessin qui copie, qui contourne, qui restitue et celui qui produit des formes les faisant jaillir d’un intérieur dont on a du mal à savoir s’il s’agit d’un intérieur existant ou de l’ intérieur même du dessin, sachant qu’il s’est créé de lui même. Et que jaillissent les formes de leur propre intérieur ainsi que nous l’enseigna le Cubisme ! Un enseignement délaissé aujourd’hui au profit d’une réalité photographique qui se mêle aux images de la consommation courante…



NOIR HAIT BLANC ?
Le dessin ne peut se désolidariser de la composition, il est, LA composition, l’architecture, la dynamique ; fluide, gras, lourd, sec, démonstratif, souterrain… Il est une stratégie, la stratégie du dessin, de l’espace, de la parole écrite, de ce que la parole ou l’écriture ne peuvent dire.
Il y a des dessins épurés, forts en densité, d’autres aux traits accumulés, saturés d’ingrédients graphiques, des assemblages indissociables de la vie jusqu’à ce que l’œuvre en arrive à ne plus avoir de parole et n’être qu’une scorie de vie, tel un vêtement mille fois lavé dont il ne subsisterait que les coutures et que, l’œuvre soit sans voix et ne puisse se révolter contre son auteur, son père. C’est seulement lorsque le scripteur aura laissé les traits à leur propre destin que cet ensemble deviendra autonome, il n’y comparaîtra qu’une sorte d’ADN séchée, sperme sombre craquelé sur papier blanc, semence blanche sur fond noir… Traits sombres en migration sur territoires blancs…
Le tout dessin est en nous, nous l’avions déjà plaqué dans nos entrailles, dans les canalisations de nos veines, les vibrations de l’épine dorsale. Le dessin est en trame en nous, un tamis laissant fluctuer les plus petits grains de je ne sais quoi, les nuances sans un doute apparent.
Et le tactile dans tout cela ? Faut-il nous voiler la face, souffrir un aveuglement pour ne voir qu’au toucher et le dessin est alors volume, gravure, texture, relief, une scorie encore?
C’est parfois un fagot prêt à brûler, crépitant jusqu’à donner du cri, le dessin percutant nos tympans ! Oui, enfin, le cri, on l’attendait celui là!...
Mais à chacun son cri, ses crissements, le va et vient de ses élytres, les arbres aux cigales et les champs aux bourdons !
Le chant de l’encre de Chine et le noir dessein du grillon.



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