Article 2 : les hommes politiques sont des gens qui
s’intéressent très modérément à ce qui n’intéresse pas les gens. Les gens sont
très modérément intéressés par l’art.
Article 3 : les hommes politiques, actifs et
ambitieux, n’ont pas vraiment eu le temps de se construire une culture
artistique. Ils n’ont que des choses importantes à faire.
Article 4 : l’art permet d’habiter l’univers. Et alors
?
Article 5 : la politique indique à tous la route à
suivre : « à droite, à gauche, tout droit, dans le mur, etc ». L’art fait de la
résistance. Résiste à tout, à la publicité et aux camps de concentration.
Article 6 : l’art est lié à la condition humaine, la
politique s’occupe, dans l’urgence, des situations urgentes. L’art tue toute
idéologie, et toute idéologie l’anéantit. En tout politicien couve un
idéologue.
Article 7 : la politique propose des porte-bonheur et
des faux-semblants. L’art oeuvre« dans l’incurable » (Cioran ) quand la
politique suppose l’ablation des profondeurs.
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Dans leurs activités concrètes, technico-économiques,
les sociétés modernes, depuis la Révolution, sont quasiment orphelines des
arts. Même si la consommation des produits culturels agite pour un temps les
surfaces.
La politique fait semblant de s’intéresser aux arts.
Elle-même en crise, elle est étrangement liée à l’éloignement libertaire de
l’art. A force d’orienter les individus sur des objectifs immédiats, la
politique ignore l’élan initial vers l’art et le fait disparaître au profit
d’objets plus aisément identifiables, plus « faciles ».
Si l’art importait à la politique, la télévision
constituerait, plus encore que l’éducation nationale, un sujet de réflexion et
de transformation. Si l’art était pris en compte, la société tout entière en
serait totalement transformée. Et nombre d‘actuels politiciens deviendraient
des intermittents de la politique…
Les valeurs verticales de l’art ne sont pas celles,
horizontales, dont la politique est l’esclave inconsciente, à droite comme à
gauche, stéréotypes imposés qui font bafouiller le monde contemporain…
L’essence de l’art ne s’arrête pas aux frontières du
social, de la technique et de l’économique. « Le beau est dans la distance » écrivait
Simone Weil.
La politique s’affaiblit mortellement de l’oubli des
profondeurs, elle s’étouffe sous l’étendue grandissante de ses propres
surfaces.
Elle ne sait pas dépasser l’instant pour le projet
lointain, elle ignore l’utopie régénératrice du présent, et n’ose jamais le
deuil du déjà vécu. Symbole étonnant que la sincérité des discours dans les
hommages funéraires…
L’art prend sa source au coeur lointain de la vie des
hommes mais aussi dans les confins d’une distance indéchiffrable. La politique
patauge à courte vue, et l’air s’empoisonne, quand les politiques ne respirent
qu’électoralement….
La politique s’abîme dans l’ici et le maintenant, et
ses parenthèses sont presque toujours bloquées. L’idéologie guette tous les
modèles de pensée, et en premier lieu les structures politiques : la pensée
simplifiée, refermée sur elle-même, se fait étrangère aux complexités brûlantes
de l’œuvre d’art.. La volonté de système de la pensée moderne est comme niée
par l’art, et le retour constant au chaos d’origine - chez de nombreux artistes
– devient véritable obscénité.
L’art est vrai comme un accident de la modernité.
Mise à l’éc-art normale. Police mentale agissant dans
le silence politique. En 1905, Klimt regrettait grandement, dans les journaux
viennois, la part inouïe de la politique et de l’économie. Il oubliait le
sport.
La pensée unique, surtout rapportée à
l’intentionnalité doctrinale, rejette la sphère de l’art, et DOIT la rejeter
sous peine de sa propre disparition…
L’art est la tache aveugle des visions politiques, il
creuse le contenu latent du sens et des sens refoulés, du corps profond, de
l’énigme crue d’exister, de la sexualité vive, et de la vie mortelle.
Nous ne rêvons jamais de politique, mais l’art rêve
nos vies, et nos rêves hantent les arts.
La politique est devenue l’opium du peuple, quand
s’agitent au-devant de la scène médiatique les fabuleux pantins des miroirs
éclatés. Et les écrans sont vides, opaques, toujours déjà remplis...
L’art, fût-il parfois exténué de l’intérieur, ( quand
il se fige sur des caricatures formelles ou sur des intégrismes culturels )
sert aujourd’hui, dans sa noblesse archaïque, de repoussoir aux
expérimentations de surface de hasard et de mode. L’art comme rappel à l’ordre
vital et au chaos.
Sans lui, comme support de possibles utopies et de
langages à vif, la politique, structure d’incontournable réalité, s’épuise à
tenir le crachoir dans les labyrinthes d’une modernité hypnotique, orpheline et
butée.
Par contre, si les cultures du monde ne succombent pas
toutes à l’étau américain, si la sphère politique se définit, même par défaut,
sur des valeurs enfouies dépassant l’immédiateté efficiente, en ce cas, de
nouvelles relations du politique et de l’art pourraient ouvrir des portes et
des fenêtres sur les voyages à venir.
La peinture symboliste, à la fin du 19 ème siècle, a
montré la fin de la culture européenne, l’achèvement de concepts jusqu’ici
porteurs, et les impasses, voire le cul de sac, d’une modernité trop vite
triomphante.
Au symbolisme finissant ont succédé, quasiment dans le
même temps, l’expressionnisme, l’abstraction, le cubisme et le surréalisme. Et
le monde s’est ouvert aux fabuleuses richesses de toutes ses différences.
L’art, même disparu de l’avant-scène médiatisée, vit
d’invisible présence sous les surfaces politisées. Le politique a besoin d’un
socle. En a-t-il encore un, sinon préfabriqué ? Ce furent l’imaginaire
égyptien, la cité grecque, la religion chrétienne, et la maîtrise profane du
réel. Avec autant d’esthétiques magnifiques qui les représentaient. Mais l’art
n’existe plus dans ce qui est devenu ressassement, il a cessé d’illustrer ces
modèles d’identité, et la politique, structure-miroir d’identité, l’a
abandonné.
L’oeil politique ne voit pas le sol abîmé sous ses
pas. Les hommes politiques sont les seuls vrais intermittents de l’art.
Peut-être faudrait-il le vrai courage de l’achèvement,
et sa dure nécessité, pour que les stériles relations de l’art et du politique
en terminent avec leurs échecs, et s’ouvrent à l’altérité qui seule peut
déborder les blocages de l’acquis. L’art est marche en avant, il s’invente tout
seul. La politique est à réinventer.
dessins d'Andy Variole
Paru dans Artension No 18 de Juillet 2004
Paru dans Artension No 18 de Juillet 2004
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