dimanche 8 décembre 2013

NICOLAS FAVRE : PAROLES D’ATELIER (Christian Noorbergen)

Peu de couleurs suffisent à Nicolas Favre, et sa gamme chromatique est serrée. “Les couleurs s’imposent, ou plutôt leur assemblage s’impose, sur le plan esthétique, mais aussi émotionnel, et sentimental. Etrangement, avec ce travail, je me suis découvert un fantasme nostalgique, disons soviétique, sur la Russie bolchevique, une mélancolie au goût de steppes, qui donnerait naissance à des compositions colorées de gamme slave…“ Dans l’œuvre entière couve l’idée d’un monde transparent qui se met en place, avec ses chocs et ses entrechocs, celle d’un chaos qui s’organise, et d’un idéal à venir. “De grands espaces vierges, où tout est possible – le fantasme de ma  géographie secrète - opposés à l’oppression. L’œuvre est  l’équilibre entre ces contraires…“ Ces grands espaces seraient les miroirs du vide central d’où surgissent ces formes dures et saisissantes, qui font taches, signes, et corps. “C’est l’espace qui permet la naissance de quelque chose, comme une éructation, ou un accouchement.“
La création s’arrache à la création. L’art de Nicolas Favre fouille l’impact dur, voire violent. Dans ses toiles, les corps brûlent l’espace. Si les mains font la gueule aux bienséances, elles étreignent l’humanité. Des taches de mort-vie ensemencent l’étendue. Des coulures verticalisent la toile. On dirait des agressions de surface, des larmes de peinture. Ces corps là exacerbent le chaos porteur d’âme, au centre de l’œuvre. Choc salutaire qui délivre le regard du trop-plein des images fatiguées de la modernité. “Paradoxalement, ma peinture, consciemment, est douce, dans le travail, dans la pose, comme des caresses intérieures alternées avec des moments de chaos violent. C’est cela qui donne naissance ou qui détruit. Cette violence étant mienne, je suis en accord avec elle. Elle ne m’est pas étrangère, elle ne me fait pas peur. Mais, parfois, mon travail me dépasse. Je suis en train de travailler, et quelque chose va plus loin que moi. Et je ne me reconnais pas. Ça arrive comme une météorite. Si je me regarde, je vois un étranger. Je ne suis pas prêt.
Peut-être faut-il le lent travail de la peinture pour porter cet arrachement, et préparer l’acceptation de ce qui surgit. Chaque peinture est une approche... “Je ne veux pas être dépossédé trop vite de ce que j’ai fait. Il faut mourir à quelque chose pour renaître à autre chose. Et dans la peinture, c’est tous les jours, c’est sans fin. On peut même se demander si la peinture, entre naissance et mort, existe vraiment“.
Sans doute, les critères esthétiques latents, connus et inconnus, se mettent-ils peu à peu en place, et installent une création plurielle. “Il y a plusieurs lectures. Les couleurs, par exemple, pourraient être des larmes, du sang, ou des coulures dramatiques, mais cet aspect s’oppose à l’aplat du fond, plus calme et reposant. L’œil va du repos à la tourmente. Le chaos s’allie aux effets de matière. J’ai besoin d’une force dramatique et lyrique, bien orchestrée. Mon travail autrefois était trop séducteur. Il ne s’agit pas de caresser le spectateur, je rêve de tenir mon pinceau comme Soutine, pour qu'en jaillisse la même sourde puissance, et j’aime l’outrageante fraîcheur de Baselitz dans l'application de la mère matière."
Le point de départ est une base graphique, puis la peinture prend toute la surface. Nicolas Favre sollicite la gamme entière du vocabulaire plastique : dessin, signe, tache, couleur, coulure, aplat... Le tragique latent tient à la tache implacable qui nappe le tableau. S’agit-il du tragique de l’existence ou tient-elle de sa vie propre ? “Pour moi c’est la même chose. Toute l’humanité est en nous. D’où l’immortalité de la peinture qui parle à tous les hommes, et qui dit quelque chose de l’inconscient collectif. Peindre une maison, c’est déjà un autoportrait. Ma souffrance est là. La peinture apaise mes angoisses et me régule. J’exorcise symboliquement les tourments de vie, qui résonnent chez les autres humains.
Un deuxième texte de Sandra Detourbet
Sous mes yeux se déploie une série de portraits signés Nicolas Favre. Le peintre des silhouettes où l’être pose, le sien, le votre, celui de l’autre. Dans un temps qui me rappelle cet ailleurs, celui-là qui me guide hors du présent, loin du néant où quelques odes romantiques livrent leurs effluves aux sons anachroniques et dansants de quelques duos : « Bancusi-Bovary », « Pesoa-Dirosa »,  ou encore « Bunuel-de Staël ». L’âge mélancolique berce nos cœurs d’une langueur monotone. Une voix s’époumone, l’Amalia perce les heures au détour d’un fleuve. A l’orée de l’ordre où s’abreuve l’été, l’ancêtre naît en soi et pour soi.

La double unité, la solitude révélée, la patience du thé, l’idée d’un soi fleuri, du printemps d’antan, de l’arbre aux yeux, du tonnerre d’enfant, je me consume. Le brouillard s’affine. Au salon le champagne perlé pétille et le chat dort près de l’âtre. Entre vous et moi se dessine l’abscisse désordonnée, le désir inachevée. Les mots et les os teintent, inévitable interrogation de foi. Rois, reines et fous s’aiment au-delà de leurs chairs et des songes. Le fil est éteint et la chandelle tremble. Je me souviens de moi, ce soi sans voie.

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