lundi 16 décembre 2013

DJAN SILVEBERG : A BATONS ROMPUS ... (Yannick Lefeuvre)

Il fut un temps où quand il était dit « J'ai laissé mon bâton dans le pré », chacun comprenait et l'entendait à sa façon. En ces temps, cela ne laissait personne indifférent. Ainsi par la parole métaphorique, le lien s'établissait. Aujourd'hui, de ces énigmes, proverbes et dictons, il en va différemment. Mais cet artiste là se saisit de l'énigme et déroule son tapis rouge. Il nous raconte que quelque chose à l'évidence importante, vitale, inavouée a disparu. Là où ça ne nous dérange plus, lui, ça le démange. Tant mieux, il nous montre la rupture, la déchirure, cela l'obsède. Il en fait des « toiles », des sculptures, des installations. Il trace ainsi des routes, des jeux de pistes, des retournements et détournements salutaires. Il nous envoie des signaux comme pour cerner l'espace et arrêter le temps. « Ça déchire » comme disent les jeunes. De la justesse des mots, de la sensation de l'émotion, du sentiment qui en découlent, il nous en parle avec son talent personnel. Sans fioriture, il nous l'expose d'un geste précis, simple, vécu. Un espace de couleur où un trait de lumière barre sa surface et « point barre !». Une simplicité à la Judd, le méconnu.
A nous de nous emparer du bâton qu'il nous tend ! Mais le voyons-nous ? Il nous invite avec conviction sur cette route là. Il nous la balise, il nous la scande, il nous la déroule. Alchimiste, il en fait aussi de l'or (c'est culotté !). De cela, la vibration magique fera œuvre. Par son détour d'artiste, il nous invite à l'obsession d'une parole qui n'est plus là. Que va-t-il en résulter ? Que de belles et bonnes choses... avec et c'est là, son talent un au delà de la chose, une chose revue et corrigée, étendue jusqu'à ce que cela enfin s'entende.
Que cela s'entende... et de sa proposition qui est à mon sens d'une folle originalité, il nous tend un miroir au reflet brisé. C'est aujourd'hui tellement utile, pragmatique et concret. Je pèse chacun de mes mots que si nous n'y voyons guère d'intérêt c'est que la tragédie s'est déjà installée. Les artistes sont d'urgents vigiles. Et comme le petit poucet, il va par ses toiles nous indiquer comment rejoindre l'être fondateur, celui d'une parole partagée. Ce Brueghel d'aujourd'hui qui prend le temps d'inscrire de la parole sur une représentation picturale comme Brueghel en son temps, Ce peintre du passé sentait bien déjà qu'il y avait là une richesse inouïe à ne pas perdre. Il est possible qu'en son temps, c'était pour lui chemin moral à suivre mais aujourd'hui, il semble que ce ne soit plus le propos. Il s'agit simplement de renouer avec. Ce miroir qu'il nous tend, paroles colorées sur vibrations d'un champ de somptueuses couleurs où le jeu vibratoire s'allie des mots qui apparaissent ainsi vivants.

Pourquoi donner de son temps à voir une parole ? Ce cheminement, cette rumination et entendement lui appartiennent mais elles nous concernent aussi. Généreux, il nous tend la main. Il soupçonne que pour lui ce qui est salvateur, c'est d'en passer par là. Regardez bien son travail, cette cohérence qui l'achemine là aujourd'hui. Ce chemin est à portée de notre regard. Parole, lien entre nous tous, nous autres, parole, quotidienne, triviale et anodine (du genre : « Joli temps pour une arrière saison ! » à « Un tien vaut mieux que deux... », paroles évidentes jusqu'à l'invisibilité de leur vitalité. Il nous invite à nos propres noces sous l'aune de la couleur dans un jeu de sens à fleur de souffles. Il induit et nous conduit à ce savoir intérieur que nous partageons tous.

Il a fait la moitié du chemin et nous donne l'opportunité de le rejoindre.
Alors, on joue ?

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