Nul ne peut nier le feu,
la brûlure, l'incandescence ressenties face aux figures et aux corps de Stepk.
Quand le geste de l'éraflure porte le tranchant du mouvement à ce paroxysme là,
l'émotion nous assaille, notre être tout entier happé s'arrête stupéfié. Il
nous fige et le temps de l'insupportable s'inscrit en nous. Ce temps de
suspension, de rupture et de fragilité si nous l'acceptons ouvre à la déchirure
symbolique, le désir de dire l'autre.
Ce déchirement où l'encre
jetée, les ligatures des huiles répandues, des effluves à vifs à peine colorées
nous donnent l'opportunité d'un violent constat. Cette perte de l'émotion
humaine contemporaine rendue visible devient une chance à saisir. Il n'y a que
trop peu d'occasions où cela se mesure. J'ose l'affirmer, ces échos de nos
déviances qui s'affichent avec hargne apportent des lueurs d'espérance. Rien de
malsain, de complaisant mais une intransigeance rare qui un instant nous
perturbe mais une fois pris aux tripes, l'envie d'aller plus loin nous revitalise.
Je ne pense pas qu'il veuille y être à ce point mais lui même emmené dans une
assomption prophétique, il s'y tient. A s'y maintenir ainsi avec cette vigueur
courageuse, d'emblée, il nous y inscrit avec confiance. Ce présent immédiat
fondateur est le passage obligé pour refondre un passé trafiqué et le tirer
vers des futurs dont nous n'espérons rien si ce n'est un plus de vie. Le passé
englué dans la matières des anges, les gueules de vierges, les états de Marie
et les êtres d'urgence barricade les élans.
Prendre son élan à partir
de là où ça saigne, ça suinte et ça pourrit justifie l'exacerbation du
mouvement. Une évidence de l'être mâle, femelle, animal végétal, minéral
toujours niée, refusée et remise au lendemain empêchait le propos même. Le
voilà libéré !
Son opiniâtreté si elle
nous agace enclenche le processus de reconnaissance. Plus d'évitement, on hurle
avec lui. L'emphase des pulsations nous remue, nous touche et nous engage dans
la stupeur. Muette de prime abord mais ainsi nourrie, elle libérera ce cri
salutaire qui nous « verticalise ». Basculées en dehors du propre, de
l'hygiène et du lisse, nos tempes frémissent. Un substrat, un fond, des
effluves réelles revivifiés et tout à coup, la pensée tressaille, prend racine
et surgit dans un printemps
Dans ce creuset orgiaque,
l'offrande devient possible, la sainteté trouve son chemin, les psaumes
trépignent. Le saut sans mièvrerie, la confrontation, l'affrontement nous
implique. J'y suis, il nous y a amené abruptement mais il n'y a pas d'autres
chemins. Les grands textes ne parlent que de cela.
L'homme devenu ange, posté
à chaque coin de nos rues attend le Nom.
Job n'était pas beau à
voir, subissant les turpitudes de l'anti-verbe, il tremble à la vue de ses
chairs qui se défont. Mais ce sera de ce lieu du corps décharné, pustuleux et
sanguinolent que le dialogue s'instaurera. « Où étais-tu lors de la
gestation du monde ? » demande l'Entité.
Je décèle une oralité
picturale dans ces tableaux car comme on dit « Ça gueule ! » mais cette
parole résurgence est bien différente. Elle crée le lien.
En plein dans le «
mystérium tremendum » qu'il nous inflige, nous sommes à la limite de
l'artistique (Terme tellement galvaudé que j'hésite à le prendre) et il
s'insurge, l'art n'est pas ailleurs. L'art nous tire parfois vers
l'émerveillement, le dégoût, le rien du tout ou la réflexion... mais rarement
vers le silence. Stepk donne un espace et un temps au silence. Seul ce silence
obtenu sans concession nous donne une raison d'espérer entendre un jour notre sang
battre plus fort.
STEPK (Thierry Gaudin)
Enfants de
Lilith
Mères des
enfants estropiés
Bribes
écornées des brisures internes
Pitiés
écrasées des piétas oubliées
La charge se
crève éclate le vivace
Emersions
quasi informulées
L’encre
creuse l’immobilité
La vanité se
tait et tue la surdité
Spectres
attrapés aux éclaboussures
Des veines
ignorées recluses
Carcasses à
rebours qui labourent
La place
policée
Les larmes
se teintent
Des douleurs
inciviles
Venues des
âges envasés
La marbrure
des âmes s’énonce
En exigences
exaspérées
La mâchure
du relégué articule
A
l’informulé la phrase première
La douleur à
bout de pigment
Ne ment plus
/ trop lucide
La vigilance
des anges ne garde
Que
l’éclaboussure essentielle
Accents de
silences ressuscités
Apostrophes
accentuées vers le centre
Carapaces
pulvérisées insolubles
Dans le
convenu du phrasé orthographié
Naphtes
puisées aux blessures premières
Bleus des
cieux écharpés
Les plaies
des ères anciennes sourdent
Dans les
plissements des arcanes
L’archange
écorché des prières creuse
Jusque la
paupière
La voute
amorcée accroche la tension du cri
Sous la
volière complice
Le psaume se
tait / urgence
Aux limites
des pupilles l’artifice s’échoue
Sur les
cicatrices découvertes à vif
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