mardi 10 janvier 2012

LA BIENNALE DE VENISE 2011 (Morgan Peron et Laurence Louisfert)

Qu’est-ce que la biennale de Venise ? Un évènement qui est censé donner la température du niveau de créativité d’aujourd’hui et son potentiel d’expression suivant les propositions d’un vaste panorama de pays. On est parfois loin de cet objectif.

Trois parties sont au programme :
-       Les jardins où les pays privilégiés ont leur propre pavillon
-       L’Arsenal qui est un vaste melting-pot d’art émergent
-       Des expositions individuelles disséminées dans les plus intrigants recoins de la ville flottante…
Il est bien évident que tous les exposants ne peuvent être passés en revue et c’est seulement une sélection qui vous est ici présentée.

Les Jardins…ou l’art contemporain officiel
- Au pavillon français, Christian Boltanski nous plonge dans une usine à bébés présentée comme un chaîne d’imprimerie où défilent des milliers de photos de nourrissons. Une longue bande, de nouveaux nés, qui défile dans un labyrinthe d’échafaud-âges. Le visiteur déambule dans la production de la vie de notre planète, combien de naissances et de décès. Environ 240 000 vies gagnent sur la mort chaque jour…Nous voici donc dans ce système froid de presse à bébés qui passent aux rouleaux mécaniques. Ils sont presque tous identiques, " vierges de toute expérience, mais pourtant ils connaîtront tous un sort différent ".
Un poncif érigé en art
- Le destin qui a voulu que l’artiste sélectionné pour l’Allemagne meure d’un cancer du poumon, alors qu’il était non fumeur juste avant la biennale ! Christophe Schlingensief nous a légué son image en héritage : un symbole vivant d’énergie et de volonté. qui sont, pour lui, les conditions de celui qui souhaite faire entendre son message. Cet artiste veut nous aider à réfléchir sur notre aptitude à nous imposer en art tout en gardant une grande humilité. Rest in Peace.

- Et c’est peut-être en résolvant ce problème d’ego et celui du pouvoir que l’on parviendra à vivre dans un monde de paix. Le pavillon coréen est tout bariolé d’uniformes en fleurs et de vidéos où des soldats manœuvrent invisibles dans une jungle de fleurs champêtres. FLOWER POWER!
Lee Yongbaek
Lee Yongbaek attaque la question du système et de ses institutions avec ce beau symbole du mannequin qui se révolte contre son propre moule ! Et cette vision de la piéta ou un autre grand moule blanc berce son enfant rose endormi, anesthésié plutôt! Il faut se réveiller avec fracas comme dans ces vitres miroirs vidéo qui explosent en mille morceaux brisés criblés.

- C’est l’émotion qui règne au pavillon tchécoslovaque (à Venise la scission n’est pas encore faite!). Dominique Lang fait revivre la sculpture de son père, les travaux de plâtres depuis longtemps délaissés sont réveillés dans cette reconstitution poétique de l‘atelier. Les sculptures, avant poussiéreuses, prennent une nouvelle tournure. Cette œuvre, comme inachevée trouve ici un nouveau dynamisme. Des fragments, des reconstitutions, des perspectives sont collés dans un espace nouveau qui dresse un pont magique entre le présent et le passé. Une poignante mise en scène qui nous immerge dans cet espace du travail artistique (un peu comme la visite de l’atelier de Brancusi). Les meubles font aussi partie de l’installation, ils se mêlent intimement aux statues de plâtre comme cette table qui entoure un nu, cette armoire qui protège l’intimité de quelques ébauches planquées…
Dominique Lang
- On vit dans un monde fragile! Le saviez-vous ? Ici à Venise c’est la neutralité qui nous le dit: la Suisse avec le haut parleur Thomas Hirschhorn. « Establishing a critical corpus » est un travail collectif de très haut niveau en termes de critique sociopolitique. On vit dans un monde de cristal…mais la beauté du quartz et ses qualités dynamiques, protectrices et spirituelles semblent avoir été perdues de vue (dans l‘installation les cristaux ont curieusement noirci). Ce ne sont aujourd’hui plus que des piles industrielles, des blocs de silice qui alimentent un monde de pacotille. Trop de lumière aveugle ! Nous n’y pensons plus, nous sommes enfermés dans une caverne, un purgatoire, ébloui par une lumière médiatique trop intense qui reflète un monde surfait. Carton, alu, plastic qui nous entourent dans cette omniprésence compulsive de l’emballage. Moche ! La ruine de notre société.
Si comme dans cette installation-grotte emballage on nous montre du doigt les atrocités commises aujourd’hui, comment réagissons-nous ? Comment réagissons nous aux mutilations dont souffrent les victimes de ces violences ? Au niveau médiatique tout est transféré sur un autre plan mais qu’advient-il si le public est confronté à cette violence réelle dans une installation artistique ? Continue-t-il à n'être qu'un voyeur impassible voire blasé, ou cela peut-il l'amener à voir enfin les évènements autrement?
Toute une réflexion sur la transparence et sur l’opacité…
Les médias emballent et ces artistes suisses déballent la vérité ?

Le grand pavillon ?
Llyn Foulkes
- Le sacro-saint temple de l’Art de pointe (ce pavillon rassemblerait la crème de la crème comme on dit en Gourmandie) est cette fois-ci un peu déroutant, comment dire.... léger…on marche sur la tête!
Comme ce char d’assaut retourné dont les chenilles sont animées par le piètre effort d’un jogger juché sur un tapis roulant 
des bouts de pâte à modeler à disposition du public, des pigeons empaillés partout, des chaussettes prisonnières entre deux rochers, un bambou érigé, un bac renversé avec de la cire figée, une vidéo figée de la pleine lune…
ceci est censé représenter les tirs des armes !

- Une petite note tranquillisante en Grèce avec une installation adaptée aux circonstances économiques: un passage, un pont au milieu d’un pavillon rempli d’eau. Inondé mais paisible grâce à cette musique planante qui nous transporte et nous permet de souffler, de décompresser !
Pavillon grec
Rien d’autre…
L‘Arsenal…la grande enfilade de toutes les surprises
Vous entrez dans un labyrinthe de placards. Des portes de placards pour toute introduction. Qui est au placard ? Pas commode à savoir ! L’art qui placarde ou le public au rencard ? Je ne sais pas. Toute une installation grand-mère du siècle passé, où sommes nous ? De ces meubles on ne garde que la porte; ce n’est pas l’intérieur qui compte ! C’est la façade, recto et verso, comme pour ne pas aller au-delà des apparences. C’est une ambiance sans saveur ni intrigue. Des rideaux et des miroirs pourtant…l’attraction émotionnelle avec le public est des plus réduites.
Mais ouvrez les yeux bon sang ! Pour cela on nous plonge dans une salle noire dans laquelle il n’y aurait presque rien à voir. Exactement comme dans la vidéo que l’on vous montre où les gens viennent au rendez-vous de l’art dans une grande salle (blanche cette fois-ci) sans comprendre pourquoi; il ne se passe rien  !

- Allez un peu d’émotion que diable ! Mais non, admirons cette fusée improbable, un projet chilien qui ne décollera jamais. Il faut donc être bien accroché pour ces premières salles qui ne sont pas très aguichantes.
Courage ! Rashid Johnson nous réchauffe avec de forts jolis tableaux sculptures en bois marqués au « branding » (tatouage au fer rouge) et calligraphiés à l’encaustique avec quelques touches « asiattisantes » rouges et dorées
Plus accessible déjà avec, pour suivre, 15 sculptures architectoniques faites dans toutes les matières possibles. Ces maquettes du monde nous aident à voyager dans tous les pays et tous les temps.
Franz West un artiste iconoclaste, « pas-tantant ». Pour le meilleur et pour le pire, le public s’y perd, l‘ironie n’est pas flagrante. Dur ! Sommes nous venus à Venise pour voir deux cuvettes de WC en face d’un lavabo ?
Les artistes se succèdent, se confondent pour former un confortable oreiller soporifique qui anesthésie nos sens et notre âme, je ne souviens plus de rien docteur…
Vient enfin l’exposition des artistes italiens dans un foisonnement assez captivant. L’optique du cru a été de rassembler un grand maximum d’artistes dans trois grands halls. L’Italie nous offre un art non plus conceptuel mais plutôt expressionniste. Un travail qui nous permet de revenir sur nos plates bandes, plus accessible somme toute.





La petite révolution de cette exposition italienne organisée par Vittorio Sgarbi est: « L’Arte non e cosa nostra » une enquête sur la mafia où comment lever le rideau sur la criminalité au grand public. L’art est aussi une plateforme idéale pour dire la vérité sur notre société et diffuser au grand jour l’infamie mafieuse. Superbe!

- L’exposition continue en extérieur dans une belle frénésie de sculptures et d'installations…


- La Chine présente Yuanyong dans un lieu exceptionnel: « le magasin des citernes », énorme, une salle des réservoirs de pétrole de l’Arsenal, grosse charge de vieux fers où flottent une belle armada de petites poteries et une vapeur mystique…Traverser ce couloir où une pluie de lettres latines se délitent comme une neige morte alors que les idéogrammes noirs se consolident toujours plus tels des signes qui prendront le dessus.
Yuangyong
Et ainsi de suite...on traverse parfois certaines zones obscures, où le jugement s'étouffe, l'attention s'enfuit...c'est fou, tout devient flou

Les expositions individuelles, au détour des canaux et ruelles...
La partie originale de la biennale de Venise : suivant un plan particulièrement approximatif vous plongez dans les méandres de la ville à la recherche d’expositions individuelles. Les artistes sont le plus souvent présentés sous la bannière de leur pays, mais ils ont le privilège de pouvoir investir un espace qui fait partie du cœur de la cité. Vous allez découvrir des intimités vénitiennes que vous n’auriez normalement jamais connues ! Voici quelques artistes que nous avons remarqué...

- Dans un des nombreux cul-de-sac du quartier Santa Croce, devant une église, sur un parvis du grand canal, Oksana Mas présente une œuvre qui fait le pont entre la renaissance et nos jours ; téméraire. Imaginez de grands panneaux couverts de seulement 3.640.000 œufs en bois peints au motif de symboles folkloriques ou icônes classiques de notre société qui dans leur totalité représentent une copie de l’œuvre de Van Eyk « Les Jardins du Paradis ». Ce n’est qu’en reculant que l’on aperçoit l’époustouflante perspective de ces grandes toiles qui totalisent en tout une surface de 134 X 92 mètres !
Oksana Mas

 - Le scenario de Francisco Tropa, portugais, nous présente une poésie visuelle qui change notre perception du temps. Un ancien entrepôt a été rénové et, en lui-même, il nous plonge déjà dans une autre époque. Un éloge est fait à l’élément qui domine Venise, l’eau. Sur plusieurs installations, un rétroprojecteur est placé devant un goutte à goutte qui est reportée sur de grands écrans. Si l’image est inversée, l’eau semble être libérée de toute pesanteur, légère.
Francisco Tropa

- Au Kyrgystan, on porte un regard très critique sur le monde. Marat Raiymkulov a réalisé des milliers de petits dessins très acides qui nous présentent la condition humaine dans sa plus triste vérité. C’est fou comme de simples silhouettes peuvent nous rappeler notre bêtise, notre aveugle soumission, notre manque de spiritualité! Quand on feuillette ces petits cartons gribouillés, la vie quotidienne de la société moderne nous paraît tellement absurde.
Marat Raiymkulov 

- Le Luxembourg a choisi un espace intime, le rez-de-chaussée d'une maison. Cette exposition "Cercle Fermé" est un projet des artistes Martine Feipel et Jean Bechameil et du curateur René Kockelkorn.
Une distorsion de l’espace dans quelques quatre ou cinq salles bouleverse le sens commun de l’équilibre, tout ondule. Les pièces se succèdent dans le blanc, une sorte de grande banquise d'un espace infini qui se reflète dans un palais des glaces. Votre perception est mise à l'épreuve, les meubles ondulent, des miroirs vous reflètent sans fin, des colonnes son bancales, des chaises molles, le tout dans un décor baroque qui nous emmène dans un autre temps... un chamboulement du lieu.
Martine Feipel et Jean Bechameil,

- Enfin une dernière artiste digne d'être mentionnée, la géorgienne Tamara Kvesitadze, qui nous présente un beau message pour l'universalité de la paix dans le monde. Un travail particulièrement soigné et approfondi pour parler de l'amour. Elle expose ce travail dans le hall d'entrée d'un vieux palais vénitien, le palais Pisani,  qui séduit par sa force et sa simplicité...
Tamara Kvesitadze

Ainsi se termine ce regard sur une Venise qui sait admirablement marier sa splendeur classique et son insolite vie quotidienne avec l'art contemporain de tous les horizons ...

 

samedi 7 janvier 2012

DOMINIQUE ROSSIGNOL, CONQUERANT A L’ASSAUT DE LA CREATION. (Nicole Anquetil)


Visite d’atelier, 19 décembre 2011.

C’est  un homme élégant, élancé  et sobre qui nous ouvre les portes de son atelier par un lundi  matin froid de décembre. La rue est glaciale, l’homme est chaleureux d’emblée, à ses côtés on se sent bien.

1 L’atelier est une caverne d’Ali Baba, succession de pièces reliées par des escaliers pentus où sont méticuleusement  rangées des dizaines de toiles, toiles appuyées sagement contre les murs en attente d’être dévoilées par la main du maître. Tout est prêt pour une matinée extraordinaire dont je sortirai éblouie, étourdie, épatée dans l’ordinaire et la froideur de la rue Ste Croix.
La jubilation avec laquelle Dominique Rossignol montre ses œuvres est communicative et contagieuse. On veut tout voir, on lui fait tout montrer, tout sortir ! On passe de pièce en pièce pour ne rien rater !  La matinée est magique, le personnage est enchanteur. Oui j’ai bien envie de l’appeler Merlin l’enchanteur !


C’est un grand seigneur, un bouillonnant passionné qui parle et qui parle avec une telle chaleur et une telle modestie de son œuvre. Il vit son art comme il en parle, à fond et sans retenue. On sent vibrer la liberté de sa création, l’authenticité de l’homme dans sa démarche, on est touché par l’humilité de la présentation des toiles, comme si tout était banal ou normal. Plus j’avance plus je suis fascinée, plus je suis émerveillée.
Le voyage dans l’atelier s’annonce bien, on est emporté. Mes  yeux ne sont pas assez grands.
Le contraste entre la découverte des dernières toiles du Maître et le rangement méticuleux et maniaque de l’atelier ajoute au mystère du personnage. L’imagination débordante inscrite au cœur des toiles face à l’ordonnancement quasi maniaque des outils de travail intrigue.



2 Je jubile parce que c’est la peinture que j’aime, celle du cœur et de l’âme voyageuse, celle des rêves enfantins et des horizons nouveaux, peinture sans cesse en mouvement, sans cesse recréée, peinture sans chichis ni effets de mode loin des clichés et la tendance. Le travail de Dominique Rossignol est l’expression de la création en marche, les compositions de ces toiles sont multiples, hétérogènes mais dégagent une telle unité, une telle logique de composition. C’est une œuvre de longue haleine que l’on sent cent fois remise sur le métier, un tricotage méticuleux de toiles anciennes et nouvelles, une recherche constante et probablement douloureuse ou difficile d’avancer dans l’art. Quelle imagination ! Quel soin dans le recollage des morceaux ! C’est le puzzle de toute une vie qui s’étale devant nous, cohérence extraordinaire de rafistolages éparses. Rossignol est le champion du marouflage ! Le roi de la Récup ! Son œuvre est l’expression libre d’un homme qui visiblement a fait ce qu’il a voulu. Liberté des gestes, gestes déliés, pas élancés de l’homme comme ses coups de pinceaux qui débordent largement de la toile, comme ses coups de ciseaux dans la toile, comme ses collages fantaisistes. Je ressens la profondeur de la création et l’authenticité du personnage. Aucune entrave dans sa création, il est inventif et généreux, audacieux et adroit.



3 Dominique Rossignol est un chevalier, un Conquérant de l’art qui avance sans peur, un grand guerrier qui ne cache pas ses bagarres avec la toile, ses doutes sur la validité du résultat, ses allers et retours et valses-hésitations. Son énergie à soulever de terre les lourds  châssis, comme autant de butins de son long et profond travail est remarquable. C’est un grand diable qui ouvre ses bras pour embrasser des toiles anciennes et les révéler à la lumière. Ses toiles sont à sa taille, taille humaine, l’homme et les châssis se retrouvent, le moment est émouvant. Il les déploie comme autant de moment de vie, révisions d’un travail acharné.  Il les enlève  comme des trophées trop heureux que je m’exclame à chaque découverte d’un « Oh c’est beau !» ou d’un « oh et celle-là » ou «  oh et la bleu à côté ! » Il s’amuse de ma naïveté et de mon excitation sans rien laisser paraître dans cette tourbillonnante chasse au trésor qui me comble et m’émerveille. Avec Rossignol, je suis aux Anges !



4 Oui car il y a du merveilleux dans cette œuvre picaresque. Combat de titans, débauche de mouvements et coups de pinceaux ravageurs, la toile est battue, retravaillée, cousue, découpée, recadrée, tronçonnée.
La série récente des cavaliers rappellent la Tapisserie de la Reine Mathilde, épopée de la conquête de l’Angleterre, épopée qui ne peut que me parler étant normande et parente bien éloignée d’un conquérant Guillaume ! Les chevaux ailés sortent de la toile, les cavaliers chevauchent vaillamment, la fresque est vivante.
C’est une approche picturale de la bande dessinée, l’histoire est racontée et se poursuit. Le spectateur est porté et veut voir la suite. La jeunesse et la hardiesse de cette peinture est superbe et entraînante. Ici tout est surprise, on retient son souffle. Il y a du Cervantès et du Dali dans Rossignol. Il faut une suite et il faut une exposition. Le peintre émet d’ailleurs le souhait d’exposer ces toiles dans leur continuité. Appel bien reçu… et idée à transmettre. Que ce vœu soit exhaussé en 2012 !



5 On plonge dans toutes ses toiles comme on entre dans une histoire. Des épopées lyriques, on passe à l’imagination débridée et à l’audace des collages. Les toiles plus anciennes sont composites et révèlent l’acharnement jubilatoire à créer, inventer. Chaque toile est une page du livre ouvert de sa vie, collection de moments intimes livrés au regard.  lJ’aime me perdre dans les beaux bleus osés, effleurer les morceaux de dentelles récupérées, les tissus incrustés, les lambeaux de toiles marouflées. La surprise est totale, l’imagination débridée et fantasque. on n’ose pas les touchers. Le rangement obstiné de l’atelier n’est-il pas l’antidote à  cette fantaisie insoupçonnée, à cette jolie folie, à ces actes de désobéissance par rapport à un art convenu et bien défendu par les institutions ? Ici la toile n’est pas sacralisée, elle est maitière première à faire du nouveau. On sent que dans l’avancée de l’œuvre, la conceptualisation disparaît, la retenue s’efface. Les œuvres sortent plus des entrailles que de l’intellect. Toutes les normes et  tous les brouillages qui entravent la création sont balayés, la création est libérée, l’artiste s’ouvre et s’empresse à rendre limpide son travail.





6 C’est enfin l’expression des rêves et de la sensualité qui me portent dans cette œuvre. L’artiste prend dans ses bras ses toiles comme il le ferait d’une femme, il a une relation charnelle avec ces morceaux de vie étalés au grand jour. L’émotion est palpable, la reconnaissance est grande de nous faire partager cette intimité. Les corps sont partout, inscrits dodus et pleins dans le lin, griffés énergiquement avec la plume de l’encre, ronds et avenants dans les sculptures gardiennes des toiles. Les femmes sont en chair et leur beauté crue exposée. Les courbes des écritures et des dessins esquissés à tous les coins de toile soulignent à l’envie tout le sens caché du message : la sensualité, le féminin et la jouissance dans et de la vie.



Dominique Rossignol dégage une très grande énergie, celle que j’avais ressentie dés l’entrée. Il a cette capacité à entraîner dans son sillage et dans son monde et à faire rêver. Son œuvre est vraie, enthousiaste, puissante. Sa force d’imagination et de travail donne du courage à continuer, la liberté de son geste et l’audace d’une peinture non conventionnelle sont autant de cadeaux donnés à partager. Dominique merci pour le message et bon vent dans la poursuite de cette aventure.




Quelques travaux à l'ordinateur




mercredi 14 décembre 2011

L’ART CONTEMPORAIN ET LE VITRAIL : LE MARIAGE DE LA CARPE ET DU LAPIN ? L’EXEMPLE DE STEPK EN SARTHE (Stéphane Arrondeau)



Qui sont, réellement, les auteurs de ces vitraux médiévaux qui font l’admiration de tous et qui ornent nos églises, nos cathédrales ? Des artistes ? Des artisans ? Les garants d’un simple savoir-faire, ou les créateurs d’une nouvelle iconographie ?
La question, ainsi formulée, est anachronique, aux dires des spécialistes. Histoire des mentalités, sans aucun doute… Des problèmes de terminologie viennent, également, entraver toute étude sur ces personnages. En effet, quelle réalité recouvrait alors les termes de verrier, verrour, vitriarius, glazier, glazenwrigt, vitrarius pictor ou glass-painter ? Quel était leur  statut, eux qui demeurent de véritables anonymes de l’art ? L’un d’eux cependant a échappé à cet oubli en intégrant son propre portrait à l’une de ses verrières : le célèbre Gerlachus. Nous ignorons ses réelles motivations, mais le geste est fort ! Il constitue l’un des premiers autoportraits d’artiste de l’histoire de l’art (1160) !

Cette même question, ce distinguo entre artiste et artisan, prend tout son sens avec l’époque contemporaine. Dès le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale les « artistes » vont apporter leur concours à l’évolution de l’art du vitrail. Conséquence directe : les maîtres verriers  sont,  dès lors, considérés comme de simples artisans !Ses collaborations entre « artistes » et « artisans », initiées par André Malraux et le Père Couturier, vont engendrer de superbes réalisations dont l’histoire de l’art ne conserve qu’un nom. Exemple : les célèbres vitraux de MATISSE pour la chapelle de Vence ! Retour du maître verrier dans l’anonymat…

Depuis 2008, le Conseil Général du département de la Sarthe développe un ambitieux programme de commandes de vitraux contemporains destinés aux églises rurales du secteur. A ce jour ont déjà été réalisés les projets suivants :
-  église de Oisseau-le-Petit, 4 baies, artiste : Agnès Rainjonneau, verrier : Virginie Lelièpvre
- église de Pizieux, 8 baies, artiste : Michel Madore, verrier : Michel Ducreux
- église de Saint-Matin-des-Monts, 4 baies, artiste : Alexis Pandellé, verrier : Michel Ducreux
- église de SaintPierre-des-Bois, 9 baies, artiste : Laurent Leduc, verrier : Michel Ducreux
- église de Sainte-Sabine-sur-Longève, 11 baies, artiste : Jacqueline Caulet, verrier : Eric Boucher
- église de Crannes-en-Champagne, 3 baies, artiste : Thibault de Reimpré, verrier : Eric Boucher
- église de Saint-Georges-du-Bois, 8 baies, artiste : Marie-Laure Mallet-Melchior, verrier : Michel Ducreux
- église de Chenay, 6 baies, artiste : Virginie Lelièpvre, verrier : Michel Ducreux
Et  trois autres projets sont en cours de réalisation !
Particularités de cette démarche : pour chaque commande trois artistes sont mis en concurrence, et le lauréat est désigné par les habitants de la commune concernée !
Quelques remarques s’imposent. Avec un tel protocole de désignation, quel est le réel champ des possibles ? Voterons-nous sereinement, un jour, dans un commune, une paroisse pour une quelconque avant garde artistique, alors même que l’histoire de l’art est jalonnée de scandales qui ébranlèrent les esprits les plus éclairés ?

                        Retour sur expérience avortée : StepK et le vitrail.


Stepk est artiste manceau au parcours flamboyant. Ses œuvres figurent en bonne place et en bonne compagnie dans de prestigieuses galeries, comme celle de Marie Vitoux, rue d’Ormesson à Paris. Stepk avec Franta, beau voisinage !

Ses tableaux sont à son image : audace,  force et contrastes. Commentaires de Christian Noorbergen, célèbre critique d’art : « StepK  défigure à la serpe, à la hache, au bulldozer. Stepk est une brute au doigté de paillon ? Ça grince, ça suinte, et ça griffe ? Ca décapite, ça cogne et ca déchire son art. Poussières maculées, cicatrices de matières et cous tordus font ces gueules fracassées, ces ombres maudites et ces délicates coulées d’âme. StepK écrase les couleurs, et ça donne un magma d’une cruelle densité, d’une implacable tension, d’une fulgurance aux yeux béants de malheur. StepK est un dur qui défigure la tendresse. Ses meurtrissures embrasent et embrassent. » (extrait du livre Quand le visage perd sa face. La défiguration en art 2009).
Selon StepK « L’art est un combat » ! Fier programme !  Mais les combats se gagnent, ou se perdent … L’artiste a participé à plusieurs de ces concours organisés pour la création de vitraux contemporains en Sarthe. Sans réussite … Mais pouvait-il en être autrement dès lors qu’il est resté fidèle à lui-même, à son art, à sa peinture en proposant des maquettes, certes novatrices, mais sans doute trop fortes, trop brutales ?  Des saints aux « gueules fracassées » en quelque sorte

Cependant les verrières éphémères qu’il réalisa pour l’église de Saint-Pierre-des-Bois, une commande directe du Conseil Général de la Sarthe, soutenu par l’entreprise Lefranc-Bourgeois, font la démonstration de la pertinence de son propos graphique confrontée à l’audace, à la force et aux contrastes de la Lumière naturelle !
 Il est des combats qui se gagnent, d’autres qui se perdent. Sur décision de l’arbitre ou d’un jury. Pas sur KO ! Pourvu que l’artiste ne décide pas de jeter lui-même l’éponge !





lundi 12 décembre 2011

RUTA JUSIONYTE OU LA TRAVERSÉE DU DÉSASTRE(Christian Noorbergen)


 Les yeux sont un peu plus grands. Les yeux sont des trous. La fragilité est un peu plus grande. Mise à nu de la nudité. Ruta accomplit ce rituel.
Ses êtres sont des trous humains. A travers eux, on voit, car il y a des corps autour des trous, par où passe l’infini. Il n’y a plus d’horizon, on leur a enlevé le ciel. L’extérieur n’existe plus : l’extrême intimité, et la plus lointaine qui soit, les a durement sculptés.
Peut-être ont-ils la couleur de la boue, et le regard brûlé. Les êtres rugueux de Ruta, autrefois, ont été brisés de l’intérieur. Et ça continue. La boue brûle encore. Ce sont des êtres densifiés de peine et de lacunes. On ne peut plus leur prendre quelque chose, car ils n’ont plus rien. Ils ont tout perdu, sauf notre humanité. Ils ne sont pas invincibles, un souffle les bouleverse, un reproche les épouvante, et cependant, ils sont invaincus. Ils ont traversé la destruction de tous les dehors, ils sont indestructibles.
Ils sont nos frères d’abîme, ils tiendront jusqu’à la fin des temps. Leurs organes ne font plus qu’un. Tout s’est durci, tout s’est concentré. Leur densité est terrible. On s’y briserait le coeur. Seuls les yeux sont plus grands, et aussi leur fragilité… Peut-être hésitent-ils entre la jeunesse interdite et la vieillesse oubliée ? La vie les hante, et la mort les touche. Ils sont toujours à portée de la tendresse.

Petit homme d’éternité, au sexe doux, offert à l’immensité. Femme au cœur ballant. Enfant accroché. Tous, ils ne font qu’un. Un seul regard. Chaque œuvre de Ruta est une île de vie, une obsession sublime. Une résistance ultime, résistante à tout, et formidable de fragilité, a pris corps. Et pourtant quelque chose ne sait plus prendre corps. Les abandons de l’enfance interdisent l’habit de chair. Les désirs ont quitté la route. Indéfinie, improbable, l’indicible attente sidère les regards. La flamme recueille le sommeil des cendres. Espoir latent et puissant, départ en léthargie…
Ruta crée dans l’irrécupérable. Chez elle, il fait grande nuit. Il y a toujours la nuit. Innombrable, interminable. L’univers est sans fond, le jour a fui loin de la peau, et même les yeux sont de nuit… Elle affronte la part d’ombre que l’ordre du jour n’ose affronter, elle dit les trouées de l’être, les corps sacrifiés de nos ombres, et leurs mortelles beautés.
Elle sait travailler la terre, sa terre en elle travaille, et ses  repères, et l’ancestrale culture des côtes baltes. Mais la perte des origines a rendu l’air irrespirable. Ces êtres indicibles, poignants et soignants ont la sourde nostalgie des sources vives, des mythes intimes et des légendes secrètes. Ils respirent nos blessures et nos silences. Ils ont des failles, des déchirures, des transparences, des fissures, et des coulées de ciel. Ils incantent nos cicatrices. Ils sont les incarnés et les démunis d’un dialogue sans fin d’elle avec elle-même. Dans elle-même, il y a m’aime, il y a celle qui s’aime, et tous les autres, inséparés. Ils sont la troupe exténuée de nos doubles indéfinis.
La tête aussi est plus grande. Elle semble parfois porter un corps si proche et si lointain qu’il vit en dessous, et toujours il se tait. Il est de terre, lui aussi, mais il est porté par ces hauteurs de tête. Ruta ne s’arrête pas à la souffrance. L’ange a oublié la bête, et le désastre est en fuite. Du spirituel dans l’art…
Sculpture à risques, celle de Ruta, car il n’y pas l’ombre d’un divertissement. Pas le moindre mirage de séduction, mais une insidieuse contagion, la haute et implacable présence du grand œuvre. Une compassion extrême et crue. Alchimie ténue de la plus dure présence et de la beauté cruelle.
«  A travers moi, l’homme, vers le monde », dit-elle.
Le petit peuple de ces humains sans âge, démuni, essentiel, et de taille étrangement réduite, fusionne l’insupportable du trop vécu au dénuement effarant des enfants d’âme. Ces êtres au regard posthume sont nos durs miroirs. Quand tout se tait, infimes, les crocs plantés à l’intérieur, ils parlent sans mot de l’éternelle énigme de l’existence. Ils portent la contemplation jusqu’au bord aigu et tranché d’un horizon toujours noir.
Ruta Jusionyte sculpte à vif l’humanité.




mercredi 7 décembre 2011

A PROPOS DES VITRAUX DE REIMPRÉ EN SARTHE (Stéphane Arrondeau)


REIMPRE « EGLISE DE CRANNES-EN-CHAMPAGNE »
De Manuel JOVER
Editons FRAGMENTS INTERNATIONAL
Août 2011
Nul besoin de présenter Thibault de Reimpré, chacun connait ses œuvres, l’évidence de son talent. Mais quel peut être son lien avec l’église de Crannes-en-Champagne, modeste commune rurale sarthoise, où réside l’artiste ? Réponse : trois vitraux !
C’est le sujet de cette belle publication de Manuel JOVER, aux Editions Fragments International. Le texte est clair, net, précis. Il décrit sobrement le déroulement de cette commande de la commune, soutenue par le Conseil Général de la Sarthe. Aucun aspect n’est négligé : le programme iconographique (légende des saints patrons de l’église, évocation du « pays »), la technique employée pour restituer sur et dans le verre le graphisme de Thibault de Reimpré (rendons hommage au talent du verrier sélectionné Eric Boucher !),
le vote des habitants de la commune, l’implication de leur maire Pierre Dalibard, et enfin l’évocation du talent de l’artiste. Extrait : « Reimpré, en revanche, n’en passe pas par le relai d’une conceptualisation explicite, son « lyrisme », s’il faut garder ce mot, est bien réel, son expression est directe. Et très intense. D’où une certaine difficulté à commenter cette peinture qui semble court-circuiter le discours par l’investissement maximal dont elle est le lieu, la force de son propre « langage », l’impérieux effet de  présence qu’elle impose. »
Impossible d’évoquer les vitraux de Thibault de Reimpré pour l’église de Crannes-en-Champagne, sans une riche iconographie. Les prises de vues sont de Guy Durand, photographe sarthois lui aussi très connu (et « Dieu » sait que les prises de vues dans cette église sont très délicates à réaliser !). 
Soulignons, enfin, la qualité de la conception graphique de l’ouvrage confiée à Laurent Meynard.
Le prix ? 16 euros … En vente dans toutes les bonnes librairies, selon l’expression consacrée !

mardi 6 décembre 2011

CLAUDE GASSIAN : COUP DE FIL (Ludovic Duhamel)


Il existe tout autour de nous une infinité de sujets possibles. Il suffit de savoir regarder. Il suffit souvent d’ouvrir les yeux. Claude Gassian, photographe de stars, habitué à porter son regard sur l’humain, a dans cette série exploré d’autres horizons, révélant un monde graphique empli de poésie.

La poésie est partout, semble-t-il nous suggérer. Et les fils électriques qu’il nous dévoile, leurs enchevêtrements, l’entrelacs de leurs imbrications, dessinent effectivement un graphisme pur, comme surgi tout droit de l’imagination d’un dessinateur tout particulièrement amoureux de la ligne pure, de la ligne sans contraintes, libre, qui croque un monde abstrait, sans signification apparente. « Utilisant le medium photographique pour ses qualités picturales, Claude Gassian reconstitue un réseau graphique à partir d'arabesques et de segments qui n'est autre que le détail d'enchevêtrements de fils conducteurs. Sortis de leur contexte, ils s'individualisent et se combinent. Issus de l'univers du voyage, de la rapidité et du son, ils se défont de leur signification première.

Le photographe en fait une écriture silencieuse » écrivent à juste titre Isabelle Bertolotti et Thierry Raspail (précédente exposition au Musée d’Art Contemporain de Lyon).
La photographie se confond ici avec le dessin, vient jouer sur les plates-bandes d’un autre médium. Comme pour brouiller les pistes, pour démontrer que la poésie n’est pas seulement affaire de technique mais aussi et surtout d’esprit, d’imagination, d’originalité. Par ce travail léger comme une bulle, simple comme un coup de fil, Claude Gassian communique à sa façon la passion du signe. Ce presque rien qui permet de relier les hommes, les territoires, les mondes. Ce presque rien qui a du sens, pour qui sait voir.