Luc me dit, c’est là, en ouvrant
une porte sur la gauche. Une douzaine de créatures, de forme humaine, sont
présentes, debout, contre les murs de cette pièce presque vide. Une seule et
longue table est dressée au centre. Pour éviter les créatures, j’y accroche mon
regard. Je me rapproche de la table pour y prendre appui. Sur la table, deux fœtus hydrocéphales, l’un
livide, l’autre bleu, attendent qu’on les prenne dans les bras. Par goût de la
couleur, je pris le bleu. Mon geste paternel m’apporte courage et réconfort
pour me rapprocher des créatures. Certaines sont plus grandes que moi. Avec
l’un des leurs dans mes bras, je ne risque plus rien. En ralentissant mon pas,
je les dévisage, je les touches, j’entre en contact avec tout leur être. Luc
m’explique les secrets de leur fabrication, comme dans un texte biblique.
J’imagine alors une installation extérieure, un Eden, mais ces sculptures sont
fragiles et doivent rester à l’intérieur.
Les hasards de la vie proposent
des connexions. Je rentre d’Hiroshima. Et je vois alors dans ces sculptures des
survivants de la bombe. Des hibakusha.
Et je vois l’effet du flash sur ces orbites aveugles, l’effet du souffle sur
ces éventrations, l’effet de la chaleur sur ces chairs qui coulent comme de la
cire. Et je vois aussi de la stupeur
dans leurs bouches, voyant l’horreur instantanée qui se passe sous leurs
propres yeux. Il me fallait peut être ce temps de réflexion personnelle pour
comprendre ce lien fort que j’éprouve face à ces sculptures, et qui n’est
probablement pas étranger, ni à mes choix professionnels, ni à mon goût pour la
peinture expressionniste. Et c’est donc une véritable compassion qui me
submerge, car leurs souffrances, multiples, visibles, les transcendent en
humains véritables et vivants. Ils me
regardent eux aussi et la compassion est alors partagée. Nous avons pu, eux et
moi, changer de place.
Et c’est là le point : ces
sculptures nous renvoient à l’une des pertes les plus radicales de notre
société, la perte de la compassion. Sans compassion, comment alors supporter
cette souffrance ?
Certains rejettent donc ces sculptures ne comprenant pas que ce sont les restes de leur propre humanité qu’ils rejettent. Face à ces sculptures, il faut lâcher prise, accepter des émotions que nous refoulons. Il faudrait presque fermer les yeux et seulement les toucher…
Certains rejettent donc ces sculptures ne comprenant pas que ce sont les restes de leur propre humanité qu’ils rejettent. Face à ces sculptures, il faut lâcher prise, accepter des émotions que nous refoulons. Il faudrait presque fermer les yeux et seulement les toucher…
Luc a ce don rare de pouvoir
créer une sculpture génératrice de compassion, et il nous tend le miroir que
nous fuyons, et ainsi nous démasque malgré nous.
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