jeudi 19 janvier 2012

LE MERLE MEREL (Frédéric Jars)


Voici l’atelier, la plupart du temps déserté : trop froid par temps de gel, trop brûlant les jours d’été, il n’y a que la glycine qui s’y plaise vraiment. Merel, lui, est au jardin ou devant le pôele, grillant une cigarette ou s’envoyant un verre, c’est selon la saison.
Qu’on ne s’y trompe pas pourtant ; son oisiveté est proprement démiurgique : dans l’espace qui sépare un solstice d’un équinoxe, elle a empli les interstices du temps mort de tout un peuple sorti du vortex.

A peine formées ces chimères et c’est déjà comme les soutes d’une arche de Noé fantôme. Tous les ordres zoomorphiques y ont trouvé refuge, à la manière des abeilles sauvages qui se pressent au printemps dans un fagot de brindilles, d’une lucane dans ce trou pourri qui les jours de brume a l’aspect d’une vieille vache sacrée et fourbue.
Il n’y manque même pas un Christ à tête de thon, un couple d’amants errant au profil orthoptère, un bouc sémite qui chique à l’ombre, l’œil vide.
Merel est sur la branche. Il siffle comme un merle qui voit mourir l’hiver, tout noir, les plumes encore gonflées ; couvert de plusieurs tricots, il a peur mais il est plein d’allant. Il a la clope au bec et oublie le métal tordu et rabouté, l’acide des patines, les débris de plomb et d’électrodes.
Comme un demi-dieu rustique, il regarde passer sa cohorte vivante puis se laisse envelopper par le crépuscule. Personne ne pense à mal. Tout est bien.

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