lundi 20 mai 2013

NATHALIE FLORES : BLANCA ET NEGRA ! (Yannick Lefeuvre)


Osons regarder une de ses toiles !
Elle, la fille, la femme assise jambes ouvertes, une corde à chaque « patte » exposée, vue, attrapée, chosifiée, écartelée. Prise au piège. Il y a pourtant des lois pour contrer l'innommable. Mais l'artiste en mesure l'insuffisance, elle nous saisit par son langage pictural, c'est au plus profond du langage et de l'image que ça coince. En amont, plus abyssal encore, il est question de substances enfouies d'où surgissent des écritures.
Ce n'est pas de l'abstrait pour faire posture. Le mot « non » est tracé de lettres percées. Les perforations d'une violence inouïes qu'elle concrétise sur la toile sont en écho avec le réel des femmes percées, excisées, violées. Elle soupçonne qu'il y a au delà des mots voire mêmes des lois applicables, en amont, des images à travailler pour que le réel de l'insulte faîte aux femmes advienne à l'esprit et engage les possibles transformations.
Pas de tricherie, ses toiles, ça nous parle de ça !
Vouloir distinguer et non séparer, rendre visuel un savoir de la souffrance, engager le processus vers un pouvoir à transformer l'objet en sujet, voilà son cri !
Son talent, son intuition et son creuset se transfigurent par la puissance du double. Double d'elle mais aussi double de toutes les femmes qui se savant ainsi flouées, violentées, martyrisée. De ce que le langage ne désigne pas, de ce qui est insu, de ce qui indiffère, là, se trouvent les crocs de la bête immonde. Elle en donne traces peintes, charnelles et vibratoires, nécessité pour elle mais pas seulement. Il faut que ça déborde. Elle montre les crocs mortels sans rien imposer. Elle donne les éléments et nous, devenus sujet, nous établissons du sens, une ré-flexion mais sur le substrat d'une réelle stupeur révélée.
Ce n'est plus discours sur, paroles bienveillantes ou compassions vaines. Une fois, la cruauté présentifiée, il s'agit à chacun de « voir » ce qu'il en résulte pour continuer à avancer. Ses toiles marquent une ligne de partage, une frontière identifiable et réactualise l'interdit fondamental. Une femme et son reflet sombre, unique mais pour elle cela ouvre à toutes les autres (multiplication des silhouettes). Elles sont de fait par milliers, les statistiques sont formelles dans leur atrocité. L'artiste nous les rend « visibles », c'est à dire capable d'être ressenties donc transformables (croisement vertical-horizontal). Par la loi, par la règle, par le cadre d'un tableau, les mouvements des lignes internes qui deviennent « Tables » de ces lois. Elle sait que ce qui ne surgira pas de là restera lettres mortes. Ce qui ne vient pas de ce substrat là à l'esprit ne peut être modifiable. Sinon sans ce faire, sans ce travail, la femme violentée reste définitivement exclue de l'humain car située hors du langage et de ces mots, de l'image vraie et de l'émotion ressentie. L'artiste se situe là à la croisée de ce qui est à dire, à montrer, à ressentir, à être.
Blanches Neiges de noir de blanc, Blanches Charbons de blanches et noires, de quelques traces parfois, rouges de vrai sang mais rarement, elles s'imposent. Pas de pathos ni de pathologie, c'est à l'intime qu'elle s'attaque. C'est là le creuset et ça creuse, ça craque, ça crie pour de vrai. La difficulté d'apprendre que cette vérité, révoltante, scandaleuse ne peut prendre racine que de ce qui fait trouble, émotion, reconnaissance partagée de l'autre qui subit. L'artiste sait cela et le peint sans concession et sans violence inutile. Elle ne redouble pas le cri, elle le partage en deux couleurs fondamentales, fondement mental à toutes avancées pensées vers l'humain et de ce qu'il en reste. Elle ouvre au choix intime de chacun, homme et femme de dire oui ou non à la cruauté animale, à la barbarie instituée et à l'espérance d'autres amours possibles.
La tension entre le noir et le blanc rend la pensée possible dans un entre deux où le tiers n'est pas exclu. 
Ces passages obligés, ces seuils à franchir et ces nécessaires cadrages nous apprennent que parfois le chemin  artistique pose en amont une nécessaire prise de conscience humaine. Créer pour qui et pour quoi ? L'artiste peint ces résolutions dans la chair même de la toile, dans les couleurs absorbées de lumières, dans les matières brutales, dans les perspectives frontales, dans les violences sculptées, sur une toile griffée, fendue, cousue 
(elle aussi maltraitée). 
Qu'on adhère ou non à cette crispation visuelle originale n'exclut pas le fait qu'il y a là une véritable présence à l'autre féminin où les justes éléments, repères et énergies peuvent effectuer pour notre humanité leurs transmutations.
L'art une fois de plus en équilibre avec les lois éthiques intimes de la création, les lois instituées de la société et le réel cheminent subtilement ensemble.
Et allez, j'ose … Que son travail fasse Florès !


NOEL PERRIER : BULLETINTAMARABOUT ! (Yannick Lefeuvre)


Jamais sur une toile, ces personnages n'auraient du se rencontrer. Perrier force les mariages, assemble les impossibles, confronte les univers pour des assemblages pleins de bonne humeur.
L'artiste s'engage à contre courant du tragique actuel vers la respiration joyeuse. De la blague (à Toto) à la transgression (d'El Greco), il ose. Comme pour toute oeuvre vivifiante, le propos peut choquer. Son approche demande un temps où il est nécessaire d'abandonner ses certitudes au porte-mental. Toute avancée novatrice heurte les conventions. Lui, il les bouscule avec appétit sans négliger sa recherche picturale. 
Les couleurs, les lignes concourent à regarder son travail avec intérêt. En effet, au delà de l'humour patent, le choix réfléchi du choc visuel indique des chemins de traverses, des pas de coté, des surgissements de sens pleins de poésie, de points de vue décapants et de retournements subversifs.
Peindre est un acte de liberté et il les prend toutes. De plus, l'huluberlu connaît son histoire, il s'y situe avec simplicité. L'humour n'était pas quoiqu'on en pense exclu chez les grands peintres  (Je pense à Manet qui osait glisser quelques clins d'oeil dans ses oeuvres les plus connues). Il est certain que l'imagerie change au cours des siècles et il affirme que celle d'aujourd'hui a droit de citer sur les toiles actuelles.
Sa recherche picturale complexe ouvre des perspectives inattendues où la bande dessinée, le cinéma et la publicité s'articulent. Il n'est pas dupe. A la fois à distance et recul critique, il compose une nouvelle vision de l'art. Son regard décalé ouvre bizarrement à la connaissance d'oeuvres trop connues et si bardées de certitudes qu'elles en deviennent invisibles. Mine de rien, il leur restitue leur fraîcheur, il leur redonne leurs puissances décapantes perdues. Il y a dans ses prouesses la dose exacte et subtile qui convient, le respect des autres, une élégance pour que tout un chacun retrouve à son tour en complicité un regard vivifié. Si l'art est ouverture du regard et des esprits, Noël Perrier a toute sa place dans le difficile monde des arts contemporains.

AGNES DESPLACES : LES ENIGMES DU TOURNEDOS...( Yannick Lefeuvre)


Des nuques de dos, résolument avec des oreilles, telles des parenthèses esquissées...
Arrêt sur image et pont d'interrogation. Dans cet envers qu'elle donne à voir sur grand format, le temps s'arrête, notre pensée est décontenancée, tourne boulée.
Nous sommes tout à coup, l'araignée, le sujet de la toile, au centre, en apnée, sur un seuil, dans une possibilité mystérieuse et vivifiante. Emotion !
De prime abord, une immense présence cernée, l'évidence d'une nuque, toute en subtilité d'éclairage de substances, de crânes nus aux nuances de craies, de variations blanchâtres, grisées et mouvantes permet une intrusion en toute liberté dans les pensées de la figure retournée. Retour aux origines du perceptible par les nécessaires projections, par l'élaboration qui tente la reconstitution impossible d'un visage !   
Ce point de vue, rare et courageux nous permet d'ouvrir des potentialités inconnues de notre univers intérieur. Par le truchement d'un jeu figuratif, elle nous fait franchir les seuils de notre abstraction intérieure. Par ailleurs, aucune concession dans un vouloir dire mais une absence de signes, juste la substance et les traces d'un travail patient sur la matière colorée où l'ocre, le blanc, l'épaisseur d'une chair ou d'une ossature s'éploient.
Ce compte rendu strict de cet envers nous remet bizarrement à l'endroit.
Peut être que dans la vie maintenant les nuques se mettront à nous parler comme jamais et chaque visage sera une surprise. L'art se doit être à mon sens un étonnement de toutes les secondes et nous y sommes. De fait nous aurons cheminé ensemble, échangé sur la face obscure de ce qui se silhouette en nous, de ce qui s'opère dans la plongée vers l'esprit.
D'ailleurs, un chef d'orchestre sans hésiter acquiert une toile. Il a tout de suite compris qu'elle lui était destinée ! Une gamine soulève la toile pour voir de l'autre coté !
En voilà deux qui savent !!!
Oui, elle a eu raison d'oser. Alors, ne lui tournez pas le dos, tentez d'y être !
Sinon, il est possible qu'en vous regardant vous éloigner le dos tourné, elle risque d'en faire pour notre plus grand plaisir une nouvelle toile !

samedi 18 mai 2013

ROGER BLAQUIÈRE : LES CÉRAMIQUES (Michèle Lévy)


D’un contact direct, un peu primitif, entre la main et la matière, sont nées des petites séries d’objets patiemment modelés ou découpés, parfois estampées à l’aide de différents outils ou morceaux de bois, formes uniques comme échappées d’un tableau de l’artiste.
Archéologue de son propre univers poétique, Roger Blaquière dévoile un monde silencieux, végétal ou minéral, auquel le modelage puis les hasards de la cuisson confèrent une intense présence physique. Éléments fossilisés, fragments de décors, ruines, chaos…autant de vestiges rêvés organisés en petits théâtres traversés de déesses hiératiques, intermédiaires privilégiées d’un dialogue onirique entre mythe 
et imaginaire.